Homme politique de tendance légitimiste, Elie de Gontaut-Biron fut maire du village béarnais de Navailles-Angos (1860-1890), député (1871-1876) et sénateur (1876-1882). Nommé ambassadeur de France à Berlin (1872-1877) par Adolphe Thiers, il obtint de Guillaume Ier l'évacuation anticipée des dernières forces d'occupation allemandes (1873), grâce à son habileté argumentative et son entregent. Par la suite, le vicomte de Gontaut-Biron a décelé et déploré un changement dans la politique ottomane de la IIIe République.
Séance du Sénat, 30 novembre 1880, source : Annales du Sénat et de la Chambre des députés. Session extraordinaire de 1880, tome II : "Du 30 Novembre au 16 Décembre 1880", Paris, A. Wittersheim & Cie, 1881, p. 3-15 :
"M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi portant fixation du budget des dépenses de l'exercice 1881. Nous en sommes arrivés au budget du ministère des affaires étrangères.
La parole est à M. le vicomte de Gontaut-Biron.
M. le vicomte de Gontaut-Biron. Le Sénat se souviendra peut-être qu'à la fin de l'une des sessions précédentes j'eus l'honneur d'adresser au ministre des affaires étrangères alors en exercice, à M. Waddington [William Waddington], une question sur la politique extérieure, à laquelle il voulut bien répondre.
Depuis lors, c'est-à-dire depuis deux ans, le Gouvernement n'a donné au Sénat aucune explication sur cette partie si importante de nos affaires. C'est une lacune considérable durant laquelle bien des événements se sont accomplis et plus d'un ministre a changé, de telle sorte qu'aujourd'hui nous nous trouvons en présence de faits accomplis d'une part, et que de l'autre nous ne savons guère à qui et dans quelle proportion en revient la responsabilité, si même par derrière la responsabilité officielle il n'y en a pas eu de plus réelles peut-être, mais qui se dérobent à tout contrôle. (Très-bien ! à droite.)
Ne semble-t-il pas que le Gouvernement de la République puisse être suspecté d'avoir voulu établir une sorte de prescription à l'égard de la politique étrangère et que tel ministre interrogé puisse répondre aujourd'hui : « C'est mon successeur, ou c'est mon prédécesseur ; adressez-vous à lui !... » ou bien encore : « Il y a si longtemps !... C'est une affaire terminée ! »
Ma supposition a tout au moins pour elle la vraisemblance en ce qui concerne les faits accomplis ; car depuis la jour où le ministre des affaires étrangères voulut bien me répondre, en 1878, ainsi que je viens de le rappeler, deux affaires importantes ont pris fin, celle d'Egypte et celle de Roumanie, et si le Sénat avait été consulté à leur sujet, si le Gouvernement avait publié avant qu'elles fussent achevées une partie au moins des documents qu'il nous a communiqués après, je n'hésite pas à le dire, pour ma part, j'eusse appelé l'attention du Sénat sur la direction qui leur était donnée.
En tout cas, la question d'Egypte et celle de Roumanie sont des questions terminées ; il n'y a plus à y revenir. Mais il en reste d'autres qui ne le sont pas, ou le sont à peine, et qui, se rapportant au traité de Berlin, ont été ou sont encore l'objet de négociations plus ou moins délicates. Je ne mentionnerai que la question du Monténégro et de la Grèce, car la question d'Arménie, tout en devant recevoir une solution conforme aux stipulations du traité de Berlin, n'offre pas, pour le moment, l'intérêt brûlant des deux autres : les réformes en Arménie sont une affaire de très-longue haleine, sur laquelle nous aurons peut-être l'occasion de revenir. C'est des deux premières que je demande au Sénat de l'entretenir aussi brièvement que ce me sera possible, et en faisant appel à son indulgente attention. (Très-bien ! à droite.)
L'honorable M. Barthélemy Saint-Hilaire [Jules Barthélemy-Saint-Hilaire], en prenant possession de son portefeuille, a adressé aux agents diplomatiques de la France à l'étranger une circulaire affirmant que le système du maintien de la paix, inauguré par la sagesse de M. Thiers, avait été suivi avec constance depuis dix ans, et qu'il avait porté d'excellents fruits.
Qu'il me permette de contester cette double assertion : selon moi, il y a eu deux périodes dans notre politique étrangère, celle qui a été inaugurée par M. Thiers et qui a été suivie jusqu'au congrès de Berlin, et une seconde qui a commencé après le congrès et qui dure encore : les fruits de celle-ci ne paraissent pas à beaucoup près aussi excellente que ceux de la précédente.
La première comprenait effectivement un système de paix et de neutralité. La France se recueillait : elle voulait la paix fermement, elle la pratiquait sincèrement : elle n'était pas, elle ne pouvait être indifférente à ce qui se passait en Europe, mais elle réservait sa liberté d'action tout entière, et elle était bien décidée à ne l'aliéner qu'au profit d'intérêts évidemment, et directement Français. Grâce à cette politique si sage, le pays s'est relevé ; il a repris place dans le concert européen et il s'est trouvé tout naturellement appelé à siéger au congrès de Berlin.
La seconde période a été marquée par les négociations grecque et roumaine dans lesquelles le Gouvernement est entré, à mon avis, en abandonnant cette réserve qui avait marqué jusque-là le caractère de la politique française et dont les Chambres lui avaient fait une recommandation spéciale, lorsqu'il envoya ses représentants à Berlin, et en compromettant sa liberté d'action pour des intérêts qui n'étaient pas les nôtres ou qui ne l'étaient qu'à un degré secondaire. Cette période a son expression suprême dans la manifestation navale conçue contre la Turquie devant Dulcigno d'abord, en faveur de la Grèce ensuite, éventuellement aussi sur d'autres points.
La démonstration navale, en effet, messieurs, c'est en réalité un acte de guerre. Il n'y a guère moyen d'en douter quand on consulte tout ce qui se rapporte à cette opération. Mais comme c'est un point au moins contesté dans le Livre jaune, je serai obligé de m'y arrêter un peu plus que je ne voudrais pour ne pas lasser la patience. Il importe avant tout de connaître la pensée de son promoteur, qui est l'Angleterre. Or, il résulte d'une dépêche du comte Karolyi au baron Haymerlé, publiée récemment dans le recueil des dépêches du gouvernement austro-hongrois que le secrétaire d'Etat pour les affaires étrangères de la Grande-Bretagne, lord Granville, lui a dit le 3 juillet, en exposant son projet de démonstration navale, qu'il y aurait lieu de lutter éventuellement et contre la résistance de la ligue albanaise et même contre celle de la Turquie. Notre ambassadeur à Londres recevait, le 7, une communication semblable de lord Granville : il était question d'inviter la Turquie, dans un cas donné, à se joindre aux puissances, résolues de se charger de l'exécution de l'arrangement arrêté déjà à Constantinople, pour livrer au Monténégro le territoire convenu. Ce qu'il entend par là ne tarde pas à devenir clair pour nous. La proposition anglaise, au dire de notre ambassadeur à Vienne, consiste à admettre pour la remise du territoire de Dulcigno au Monténégro l'emploi de mesures coercitives. Et l'Autriche l'aurait acceptée en demandant seulement qu'il y eût « action navale sans action sur terre ». L'ambassadeur d'Angleterre à Paris était venu de son côté donner à notre ministre des affaires étrangères des explications conformes : en somme, il est proposé aux puissances d'aider le prince de Monténégro à prendre possession du district de Dulcigno par la force.
Voilà bien le sens de la démonstration navale, expliqué par l'Angleterre, non pas qu'il y eût lieu nécessairement et en tout état de cause d'employer la force tout de suite, mais pareille éventualité y est consignée et admise.
Que répond le ministre des affaires étrangères à la proposition ainsi définie ? Il comprend très bien lui-même qu'il y est question de mesures éventuelles de coercition, mais ce n'est pas sur ce point qu'il fait ses réserves expresses.
Il répond que, sans repousser le mode de procéder proposé, il désirerait, avant d'accepter la suggestion de l'Angleterre, obtenir une double assurance ; la première, que les pavillons de toutes les six grandes puissances seront représentés dans la démonstration navale, la seconde, que cette démonstration ne sera pas limitée à la mise à exécution d'arrangements concernant le Monténégro. Nous reviendrons sur cette seconde question en parlant des affaires grecques. Et comme l'ambassadeur d'Angleterre lui disait, peu de jours après, avoir remarqué quelque hésitation dans sa réponse, le ministre affirme que le Gouvernement français n'en éprouve aucune, qu'il sait d'une manière positive ce qu'il veut faire, et il précise de nouveau ses intentions. Il répète, en effet, avec plus de netteté que la première fois, qu'avant de souscrire à la proposition anglaise il lui est indispensable de savoir d'abord si les six puissances signataires du traité de Berlin sont toutes également résolues à s'associer, en cas de l'inexécution de l'arrangement Corti, après un délai de trois semaines, aux mesures de « coercition projetées par lord Granville, » pour assurer aux Monténégrins la possession de Dulcigno, et, en second lieu, il veut recevoir l'assurance que les puissances agiront avec le même accord et par des moyens semblables dans la question des frontières grecques.
L'honorable ministre, en rendant compte de cet entretien aux agents français à l'étranger, dit expressément que le cabinet est prêt à donner son adhésion s'il reçoit satisfaction sur ces deux points. De l'emploi des mesures de coercition proprement dites, de celles qui figurent au projet anglais, il n'est pas question. Toutes les puissances se mettent d'accord, toutes acceptent la proposition anglaise avec les deux conditions françaises ; aucune autre réserve n'est spécifiée.
La note rédigée par l'Angleterre, acceptée par les puissances, et qui devra être remise le 3 août, à la Porte pour lui notifier les intentions de l'Europe, porte comma phrase finale que « si à l'expiration de trois semaines pleine exécution n'a pu être donnée par elle à ses engagements, les Gouvernements comptent qu'elle se joindra aux puissances signataires du traité de Berlin pour aider le prince de Monténégro à prendre possession par la force de Dulcigno. »
Tout à l'heure nous verrons le complément de cet acte, c'est-à-dire les instructions communes données aux commandants des flottes.
L'accord s'était fait sur tous les points entre les puissances : c'est alors que M. de Freycinet [Charles de Freycinet, ancien collaborateur de Léon Gambetta au sein du gouvernement de la Défense nationale : leur incompétence est la cause des défaites militaires subies autour d'Orléans (novembre-décembre 1870)] fait une nouvelle « réserve », le mot est en toutes lettres dans une dépêche française du 28 juillet, et en tout cas il n'existe pas trace de cette réserve auparavant dans le Livre jaune ; c'est seulement à cette date qu'il parle de la manière dont la France entend participer à la démonstration navale.
Il nous était bien difficile, messieurs, de croire aux révélations faites à cet égard par des feuilles étrangères bien que le Livre rouge d'Autriche y donnât quelque créance, à savoir que les commandants des vaisseaux français auraient reçu l'ordre de ne prendre part à aucune hostilité, de quelque nature qu'elle fût, de ne pas lancer même une seule bombe sur les positions albanaises. On se refusait à y croire, car cette attitude de la flotte française — restant avec les autres sans faire comme elles — semblait incompréhensible, — je ne veux rien dire d'autre.
C'était exact cependant. Nous voyons dans les documents diplomatiques que M. de Freycinet fit savoir à l'Angleterre le 27 juillet que la France entendait se borner à une simple démonstration navale, qu'elle ne tirerait en aucun cas un seul coup de canon : en même temps il chargea nos agents à l'étranger de ne laisser subsister aucun doute sur la nature de notre concours. « Il ne s'agit pour nous, leur écrit-il, que d'une simple démonstration navale, n'impliquant aucun fait de guerre, et l'engagement de la France ne va pas au delà d'une pression morale à exercer sur la Turquie. » Ces réserves faites comme la chose la plus naturelle du monde, le ministre autorisa l'ambassadeur à Constantinople à signer la note anglaise, comme les représentants des autres puissances. Nous sommes très-incomplètement renseignés sur l'accueil fait par les puissances à la communication française. M. de Freycinet écrivait à notre ambassadeur à Londres qu'il ne doutait pas que toutes les puissances ne fussent animées de la même intention que nous ; pourtant, dans la seule réponse que nous divulgue le Livre jaune et qui vient de Londres, nous voyons que si l'Angleterre n'a aucune intention de tirer le canon, elle se réserve du moins le pouvoir de le faire, dans le cas très-peu probable, ajoute-t-elle, où la nécessité absolue s'en ferait sentir, c'est-à-dire qu'elle ne veut pas prendre un engagement pareil à celui de la France. Elle était du moins conséquente avec elle-même, avec la note qu'elle avait proposée et que toutes les puissances avaient acceptée.
Mais, qu'on me permette de le dire, ce qui accroît mon étonnement, c'est la lecture des instructions communes données aux commandants des flottes, par conséquent à celui de la flotte française aussi bien qu'aux autres. Elles ne sont pas dans le Livre jaune, qui se ferme au 3 septembre ; elles sont vraisemblablement ultérieures et elles ont été portées le 16 septembre à la connaissance du public par une agence quasi-officielle : d'ailleurs elles n'ont pas été démenties. On y voit que la France, après avoir fait précédemment ses réserves, a fini par adhérer à la rédaction anglaise ; or, ces instructions prévoient des opérations militaires, et l'éventualité d'un bombardement y est inscrite en toutes lettres.
Ainsi donc, messieurs, le ministre des affaires étrangères, instruit des intentions de l'Angleterre — initiatrice de la note dont nous connaissons les conclusions très-claires et que toutes les puissances ont signée, — la signer également ; il signe aussi les instructions communes prévoyant des opérations militaires et un bombardement ; il envoie les vaisseaux français au milieu des autres flottes, et en môme temps il n'entend recourir qu'à la pression morale contre la Turquie ; de sorte qu'il nous met dans cette situation vraiment singulière d'entrer dans une coalition de guerre, à condition de ne se livrer à aucun acte de guerre, de participer à une démonstration navale ayant pour but d'intimider la Porte, à condition de ne faire pour notre part aucun acte de nature à rendre cette intimidation efficace !
Eh bien, messieurs, j'ose dire qu'il y a eu là tout au moins une grave imprudence. En tous cas nous étions engagés dans ce déplorable dilemme : Ou bien nous devions être entrainés à employer au besoin la force pour faire fléchir la Porte, mais c'était la guerre contre la Turquie et c'était l'abandon pur et simple de la politique de paix ; ou bien nous nous exposions, je ne veux pas dire à la raillerie, mais à des réflexions malsonnantes du monde entier, par conséquent nous compromettions notre prestige et notre dignité en présentant notre pavillon sur les rivages de l'Albanie et en opérant la retraite au premier coup de canon tiré par nos alliés ! (Très-bien ! à droite.)
Pour moi, messieurs, je crois fermement que le Gouvernement français — le voulût-il ou ne le voulût-il pas — était engagé par sa signature dans une véritable opération de guerre. D'ailleurs l'adhésion, même sans la participation, aux actes que j'ai rapportés, en emportait assurément la responsabilité.
Mais ce n'est pas tout, messieurs. Tout le monde a lu un protocole signé par les ambassadeurs à Constantinople, qu'on a nommé « protocole de désintéressement. » Il y est stipulé que « les puissances s'engagent à ne chercher dans un arrangement qui pourrait intervenir comme conséquence de l'action concertée pour l'exécution du traité concernant le Monténégro, et éventuellement la question grecque, aucune augmentation de territoire, aucune influence exclusive, aucun avantage commercial qui ne serait pas obtenu par les autres nations. » C'est peut-être un acte de désintéressement, mais sans relever les méfiances mutuelles dont il pourrait bien être un signe, il est incontestable qu'un pareil engagement ne se souscrit qu'à la veille d'un événement à la suite duquel il y aurait à recueillir soit des territoires, soit d'autres avantages, autrement dit à la veille d'entrer en guerre !
S'il était nécessaire enfin d'ajouter un argument pour prouver la portée de la démonstration navale et l'imprudence pour nous d'y participer, on le trouverait dans l'acte même qui l'a fait échouer. La Porte, pressée à très-juste titre par les puissances d'adhérer à la cession immédiate de Dulcigno, et qui avait déjà demandé aux puissances de renoncer aux mesures tendant à aider le Monténégro à occuper par la force la cité de Dulcigno, ainsi que s'exprimait la note du 3 août, la Porte, dis-je, déclara que la démonstration navale entreprise, disait-elle, sans souci de la pénible situation de l'empire ottoman, lui créait une position très-grave en même temps qu'elle rendait impossible pour son honneur la cession de Dulcigno ; qu'elle ne pouvait l'évacuer que si les puissances renonçaient à la démonstration, mais, au cas contraire, que ce ne serait pas au gouvernement impérial que devrait incomber la responsabilité des complications qui pourraient en résulter dans l'avenir, ce qui signifiait que si les cabinets n'acceptaient pas cette condition, les troupes turques défendraient Dulcigno contre l'attaque des Monténégrins, en d'autres termes que la Turquie considérerait une attaque contre Dulcigno comme une déclaration de guerre faite à elle-même.
Il n'y avait plus moyen de se méprendre sur la portée de la démonstration navale, et, devant l'attitude de la Porte, les vaisseaux ont été éloignés, ce qui était en réalité l'avortement de la démonstration, mais ce qui malheureusement était aussi une humiliation pour les puissances, dont la France avait sa part !
Mais comment pourrait-on s'étonner de la résolution de la Porte ? Je le demande : est-il un seul Etat, grand ou petit, qui ne considérât pas comme une violation absolue de sa souveraineté, le blocus, l'attaque, le bombardement d'un point quelconque de son territoire, qui ne fût en droit, par conséquent, de regarder un pareil acte comme l'équivalent d'une déclaration de guerre ?
Incontestablement la Turquie avait tort sur le fond même du débat. Elle avait pris au congrès des engagements formels pour la cession d'un territoire au Monténégro, et elle usait incessamment, pour s'y soustraire, de moyens peu dignes d'un gouvernement soucieux de sa dignité. Les puissances avaient le droit de les lui rappeler et d'en réclamer l'accomplissement ; mais de quelle manière ? Voilà la question capitale.
Celle-ci a été discutée d'avance par le congrès : l'idée de la coercition matérielle pour l'exécution de ses résolutions a été soulevée, examinée et nettement, unanimement rejetée ; tous les protocoles du congrès en font foi. Si l'on veut saisir exactement sa pensée à ce sujet, il faut lire en particulier la discussion soulevée dans ses 16e, 17e et 18e séances par la proposition de la Russie sur « le mode et les principes par lesquels le congrès entendait assurer l'exécution de ses hautes décisions. » Nulle part on n'y trouve l'intention de mettre à leur service la force ; ce qu'on y rencontre, au contraire, c'est la volonté spécifiée de l'en exclure.
Il n'est pas contestable que les puissances, après mûr examen, ont exclu formellement l'emploi de toute coercition matérielle pour faire exécuter les stipulations du traité ; et aucune des paroles prononcées dans la discussion ne permet de supposer que cette résolution eût un caractère temporaire.
Dira-t-on que la dernière conférence de Berlin a pu modifier la manière de voir du congrès ? A cela je répondrai qu'en parcourant ses protocoles on n'y trouve rien de semblable. Il n'y est question d'ailleurs que de la Grèce, et nous reviendrons tout à l'heure sur ce point.
Mais en admettant même, contre toute vraisemblance, que les puissances réunies en conférence à Berlin eussent été disposées, sur la suggestion de l'une d'entre elles, à modifier leurs appréciations des moyens propres à obtenir l'exécution des résolutions du congrès, je dis que le Gouvernement français, pour rester fidèle aux intentions du pays comme à ses propres engagements vis-à-vis des Chambres, ne devait pas les suivre et qu'il n'y était pas tenu.
On objecte, il est vrai, le concert européen : on dit qu'en s'abstenant de prendre part à une action commune, la France se serait isolée, qu'elle aurait en quelque sorte renié sa signature apposée au bas du traité. D'après ces allégations, la France devrait donc, afin de se relever et de rentrer dans le concert européen, accepter sans examen tout ce que les autres puissances jugeraient à propos de faire pour assurer l'exécution du traité ?
Il est certainement utile à la France de figurer dans le concert européen. S'ensuit-il qu'elle doive le faire sans condition, et que pour obtenir cet avantage elle doive souscrire à toutes les mesures qu'elle n'approuve pas ? Non, évidemment. Elle doit y entrer lorsque le but qui lui est proposé est conforme à sa politique, et y rester tant que les moyens choisis pour amener le résultat concordent également avec sa politique. (Très-bien ! à droite). C'est ce que la France a fait à propos du mémorandum de Berlin, car elle est rentrée à cette époque dans le concert européen, et ce n'est pas le congrès qui lui en a fourni la première occasion. Elle accepta les propositions qui lui furent faites alors, parce qu'il n'était question que d'un but pacifique à atteindre par des moyens pacifiques. Et lorsqu'une des puissances unies crut devoir aux aspirations de son peuple de sortir du terrain adopté et employer la force pour obtenir l'exécution du programme commun, elle s'est renfermée dans sa réserve primitive, décidée à n'en pas sortir. Les autres puissances, du reste, ont fait alors comme elle.
Les Etats assemblés en congrès à Berlin s'étaient proposé également un but de même nature. Tout emploi de la force a été écarté, c'est surabondamment prouvé. Comment donc admettre, par cela seul qu'ils avaient apposé leur signature au bas du traité, que tous étaient tenus d'approuver la démonstration navale ? C'est une erreur complète de prétendre que cette démonstration fût la conséquence nécessaire des résolutions du congrès.
J'ai déjà rappelé le refus de la haute assemblée de s'engager à soutenir collectivement ses résolutions ; par là toute liberté a été laissée à chacun d'agir dans le sens qu'il jugerait convenable. C'est donc une erreur encore de prétendre qua la France soit moralement tenue de faire, pour assurer l'exécution du traité, ce que ses cosignataires jugeraient indispensable de faire collectivement. C'est juste le contraire qu'a décidé le congrès. La France s'est jointe aux autres puissances pour discuter les bases du traité de Berlin : elle en a signé comme elles les diverses stipulations ; elle aurait pu aller plus loin, c'est-à-dire accepter la proposition russe, mais à tort ou à raison elle ne l'a pas voulu ; et l'eût-elle fait, que la question de savoir si la force devait être adoptée pour obtenir de la Porte l'exécution de ses engagements serait restée une question à examiner.
Voulons-nous pour cela, messieurs, réduire la France au rôle d'une puissance muette, indifférente à tout ce qui se passe autour d'elle, incapable de prendre un engagement quelconque au sujet des affaires européennes ou de le tenir, quand elle l'a pris ? Ceci est une toute autre question. Ce que je viens de soutenir, c'est que la France, lorsqu'elle entre dans le concert européen, est tenue de savoir pourquoi et comment elle y entre, qu'en y participant elle ne doit pas concourir à une politique différente de la sienne, qu'elle n'est obligée qu'aux engagements nets et clairs qu'elle a pris, et à rien de plus. Mais cela ne signifie nullement que son intérêt ne soit pas de se tenir dans le concert européen, tant que celui-ci se développe dans le sens de ses intérêts et de ses convenances. Je suis le partisan très-convaincu de l'entente des grandes puissances, je l'ai toujours souhaitée, surtout pour les affaires d'Orient ; et quand même on devrait regretter une résolution qui en serait sortie dans une circonstance, je ne crois pas moins cette entente de la plus haute utilité en principe pour le règlement de ces affaires.
Au surplus une chose est certaine aujourd'hui. C'est qu'après l'échec de la démonstration devant Dulcigno, c'est-à-dire après que les puissances ont été mises en demeure par la déclaration de la Porte de recourir à l'emploi de la force contre elle, plus d'une a manifesté clairement la volonté de s'abstenir et a déclaré qu'après tout elle n'était aucunement obligée de faire remplir par la force toutes les conditions du traité de Berlin. Certes, on comprend les sentiments divers que provoque la conduite de la Porte, assez faible, — je ne veux pas me servir d'une expression blessante — pour ajourner sans cesse l'exécution de ses engagements les plus précis, mais on comprend aussi que les puissances considèrent avant tout leurs intérêts, ou, pour mieux dire, les intérêts de la paix générale, et qu'elles renoncent, si elles ont pu y être entraînées un jour, à l'emploi des moyens belliqueux qui pourraient emporter pour elles-mêmes des maux irréparables.
Quand on songe, en effet, messieurs, aux conséquences de l'emploi de la force, si les puissances s'alliaient dans le dessein commun de faire exécuter le traité de Berlin, on aperçoit bien vite les périls de toutes sortes qu'il entraînerait !
D'abord, il n'est pas douteux que l'une des conséquences les plus prochaines, les plus directes de la guerre serait l'explosion de la fermentation existant aujourd'hui dans la presqu'île des Balkans ! D'autre part, n'est-ce pas une banalité de dire que la politique des grandes puissances en Orient n'est pas identique, que les unes ont dans cette question certains intérêts, certaines aspirations, certaines traditions, que n'ont pas les autres, au même degré du moins ? Et là où se trouve diversité d'intérêts, voulût-on l'oublier momentanément, les mutuelles défiances se produisent fatalement.
S'unir pour la guerre dans de semblables conditions serait donc pour celles-ci une indigne folie, pour celles-là une abominable duperie.
Mais en admettant pour un instant que les puissances aient maintenu l'entente dans la guerre, s'est-on demandé ce qui adviendrait après la victoire ? Pourrait-on se faire un seul moment l'illusion que cette victoire ne serait pas l'effondrement de la Turquie ? Il n'y aurait plus ni traité de Paris, ni traité de Berlin ! La succession de « l'homme malade » serait ouverte, toute grande ouverte, plus ouverte qu'elle ne l'a jamais été ! et personne ne s'imagine, je pense, que dans ce cas l'on procédera tranquillement et aux sons du chalumeau au partage de l'empire ottoman ! (Rumeurs à gauche. — Très-bien ! très-bien ! à droite.)
La France d'ailleurs pourrait-elle oublier, messieurs, que sa politique traditionnelle n'a pas pour objet la destruction de la Turquie ?
Assurément, nous avons toujours été prêts à nous unir à l'Europe pour obtenir de la Porte l'amélioration du sort des chrétiens soumis à sa domination et pour réclamer en leur faveur des réformes indispensables. (Bruit.)
M. le président. Veuillez faire silence, messieurs.
A droite. Cela vaut la peine d'écouter !
M. le vicomte de Gontaut-Biron. Jamais la France n'a abdiqué pour qui que ce soit l'honneur de protéger en Orient les catholiques de toutes nations auxquels elle a donné jusqu'à son nom, et pas seulement les catholiques, mais tous les chrétiens. Ce rôle, nous ne voulons pas le répudier ! Nous avons signé le traité de 1856 et celui de 1878 ; nous entendons y rester fidèles ; mais nous considérons l'existence de l'empire ottoman comme nécessaire à la paix de l'Europe (Approbation à droite) ; il ne nous appartient donc pas de l'affaiblir, et encore moins de le détruire. (Nouvelle adhésion sur les mêmes bancs.)
Ce que la France doit souhaiter néanmoins, c'est que la Turquie exécute ses engagements, que les puissances se réunissent, se concertent pour l'emploi exclusif de la force morale ; voilà la seule chose pratique aujourd'hui.
Elles ne risquent pas de soulever de conflits entre leurs intérêts particuliers, comme elles ne s'engagent pas d'une manière onéreuse pour leurs peuples quand elles s'unissent pour donner des conseils, pour peser de toute l'influence que donnent la puissance et la considération sur ceux qui sont faibles ou divisés, pour adopter en commun, et par là même avec de nombreuses chances de réussite, une attitude sévère au besoin : et, dans les circonstances présentes, n'y aurait-il pas une mesure éventuellement indiquée, le rappel des ambassades de Constantinople ? et certainement les cabinets en trouveraient d'autres empruntées à ce même ordre d'idées. (Bruit de conversations à gauche.)
Un sénateur à droite. Qu'on laisse au moins entendre ceux qui veulent écouter.
M. le vicomte de Gontaut-Biron. En un mot, on peut, sans danger, sans compromissions inquiétantes, s'avancer de concert, avec efficacité, très-loin dans cette voie de la coercition morale. Ou la puissance, l'illustration, les influences ne seraient que de vains mots, ou bien toutes ces choses ne peuvent manquer, surtout lorsqu'elles se rejoignent des divers points de l'horizon, de produire des résultats importants.
Mais s'unir pour la guerre dans les conditions exposées tout à l'heure, ce serait, je le répète, une œuvre de folie et de duperie.
Eh bien, je le redirai encore : par suite de la diversité des intérêts, comme en raison de l'ébranlement incontestable de cet édifice appelé l'empire ottoman, toute mesure de coercition matérielle, blocus de ports turcs, saisie des revenus de l'Etat, bombardement et même démonstration navale, doit entraîner fatalement à la guerre, et cette guerre elle-même à un embrasement de l'Europe tout entière peut-être. (Très bien ! à droite.)
Il appartient à la France, dans la situation que les événements lui ont créée, de s'opposer autant qu'elle pourra à une pareille catastrophe, et en tout cas j'estime qu'elle doit repousser toutes les sollicitations qui pourraient lui être adressées d'apporter son concours directement ou indirectement à l'emploi de la force.
Son rôle, celui qu'elle a adopté et suivi depuis 1871, est la neutralité d'abord et l'esprit de pacification ensuite. Il ne s'agit pas ici, messieurs, de la politique intérieure sur laquelle les esprits peuvent être et sont divisés, mais uniquement de politique extérieure ; et, sur ce point-là, il y a eu jusqu'à ces dernières années unanimité d'opinion, unanimité qui semble malheureusement menacée aujourd'hui, contrairement à l'assertion de l'honorable ministre des affaires étrangères, qu'il me permette de le lui dire.
A la politique de neutralité et de paix qui a été celle de M. Thiers et de M. le maréchal de Mac-Mahon a succédé la politique d'ingérence, celle d'où est sortie la démonstration navale, c'est-à-dire l'inauguration de l'emploi de la coercition matérielle pour l'exécution du traité de Berlin.
Cette politique-là n'a rien de commun avec la politique précédente. (Adhésion à droite.)
Lorsqu'à surgi la phase dernière de la question orientale qui a malheureusement abouti à la guerre entre la Russie et la Turquie, il ne fut question d'abord que d'observations à présenter à la Porte et de réformes à la presser de faire, observations et demande auxquelles l'entente générale des puissances devait imprimer une force imposante et décisive, on peut l'affirmer. Toutes se mirent d'accord sur le programme et sur la démarche qui en serait la conséquence, toutes, à l'exception de l'Angleterre. L'opposition d'une puissance comme l'Angleterre était très-grave et de nature à faire échouer le projet. La France n'était assurément pas des plus intéressées dans cette question, mais comme il ne s'agissait pas de mesures belliqueuses, que tout, but et moyens, était pacifique, elle n'hésita pas à signer le memorandum de Berlin.
Le refus de l'Angleterre arrêtait la formation du concert européen, et pouvait provoquer des conflits séparés, d'où sortirait inévitablement le réveil sanglant de la question d'Orient. Le cabinet qui présidait alors à la politique de la France, sous la direction de notre éminent collègue M. Buffet [Louis Buffet], et avait l'honneur de compter dans ses rangs M. Dufaure [Jules Dufaure], en particulier M. le duc Decazes [Louis Decazes], titulaire du portefeuille des affaires étrangères, qu'il gérait avec une habileté incontestée, employa tous ses efforts pour concilier les opinions opposées. Partout, à Londres comme à Constantinople, et à Pétersbourg, en restant désintéressés pour nous-mêmes, en conservant notre indépendance et en sauvegardant notre dignité, nous fîmes parvenir des conseils d'apaisement et nous essayâmes d'amener une entente générale de l'Europe dans l'intérêt unique du maintien de la paix.
Si nous n'avons pas réussi dans tous nos efforts, la faute du moins n'en revient pas à la France, dont rien n'a ébranlé la résolution de rester sur le terrain pacifique et neutre, et, dans tous les cas, la paix générale n'a pas été ébranlée.
Et ce qui prouve, messieurs, que nous faisions de la bonne politique, c'est qu'il ne se produisit en France, alors, aucune trace de l'agitation et des inquiétudes qui s'y sont manifestées depuis qu'il est question de conférence, de démonstration navale ou d'envoi d'officiers français dans les pays que travaillent des aspirations belligérantes.
Voilà la politique qu'il convenait de suivre. C'était la politique inaugurée par M. Thiers et suivie par les ministres conservateurs qui ont dirigé les affaires sous la présidence de M. le maréchal de Mac Mahon.
Au lieu de celle-là, le Gouvernement qui leur a succédé en a adopté une autre, laquelle est tout au moins de nature à nous entraîner hors de la politique de la paix, et voilà pourquoi je me permets de la blâmer. (Très-bien ! très-bien ! à droite.)
Je demanderai au Sénat quelques instants encore de sa bienveillante attention pour l'entretenir d'un autre point bien intéressant des affaires d'Orient, la question des frontières de la Grèce. (Parlez ! parlez !). Je me permets de douter que le Gouvernement se soit fait une idée très-exacte des stipulations du traité de Berlin relativement à cette question. S'il ressort clairement des discussions du congrès que l'emploi de la force devait être écarté pour l'exécution de ses résolutions en général, il n'y a pas le moindre doute possible à cet égard quant à la question grecque : ce qui la concerne présente, en effet, un caractère tout particulier.
Je ne voudrais pas abuser de la patience du Sénat, mais je le prie de m'autoriser à placer sous ses yeux l'article 24 du traité et à lui rappeler la discussion qui en a préparé l'adoption.
Deux des premiers plénipotentiaires s'étaient mis d'accord pour soumettre au congrès la résolution suivante : « Le congrès invite la Sublime-Porte à s'entendre avec la Grèce pour une rectification de frontières en Thessalie et en Epire, et est d'avis que cette rectification pourrait suivre la vallée de Salamyras sur le versant de la mer Egée, et celle du Kalamas, du côté de la mer Ionienne. »
Après une discussion rapportée dans le 13e protocole du congrès, discussion qui précise les intentions des hautes parties contractantes, où l'Italie déclare que l'appel adressé à la Porte est un appel amical, et l'Angleterre qu'elle ne voudrait pas recommander, pour atteindre le but proposé, des mesures coercitives, le congrès, en s'appropriant ces diverses déclarations, adopte une résolution insérée dans le traité comme 25e article et ainsi conçue :
« Dans le cas où la Sublime-Porte et la Grèce ne parviendraient pas à s'entendre sur la rectification de frontières indiquée dans le 13e protocole du congrès de Berlin, l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la France, la Grande-Bretagne, l'Italie et la Russie se réservent d'offrir leur médiation aux deux parties pour faciliter les négociations. »
Rien n'est plus clair.
A l'encontre des autres résolutions du congrès par rapport aux frontières de la Serbie, de la Roumanie, de la Bulgarie et même de la Roumélie orientale, il n'y a ici aucune « injonction » ; il y a une « invitation » à la Turquie et à la Grèce de s'entendre entre elles : c'est un appel amical qui est adressé à la Porte en particulier ; le congrès affirme qu'il entend, par sa résolution, ne porter nulle atteinte à la souveraineté de la Porte, et qu'il ne veut pas employer de mesures coercitives ; en indiquant la rectification qui pourrait déterminer le tracé des nouvelles frontières, le congrès emploie cette expression, qui n'a rien d'impératif : « il est d'avis... » Enfin, pour ce qui est de la médiation européenne, les puissances se réservent de « l'offrir », ce qui ne veut pas dire : « imposer », dans le but unique, disent-elles, de faciliter les négociations entre la Turquie et la Grèce.
Un point très-important à noter encore est celui-ci : la Porte avait accepté toutes les résolutions du congrès, à une exception près, la rectification des frontières de la Grèce : Quant à celle-ci, elle avait refusé son assentiment.
Messieurs, si, après ce rapide exposé du point de fait dans la question grecque on garde un seul doute sur la détermination très-arrêtée du congrès de la traiter dans un esprit amical, par les seuls moyens moraux, et par conséquent d'en exclure absolument toute contrainte matérielle, les mots n'ont plus leur valeur.
Et pourtant, l'impression que j'ai retirée d'une lecture attentive des volumineux livres jaunes relatifs à l'affaire grecque, du premier des deux surtout, est que la pression morale exercée alors soit contre la Turquie soit en faveur de la Grèce a dépassé de beaucoup l'idée qu'on se fait en général de ce genre d'action. Et ce qui n'est pas moins étonnant c'est qu'on en soit arrivé à réclamer une démonstration navale de l'Europe en faveur de la Grèce.
Je sais très bien que l'honorable M. de Freycinet a trouvé la question grecque déjà engagée, engagée à fond pour ainsi dire, et que ses embarras ont dû être grands pour en sortir et pour la terminer, car il, voulait évidemment, à son entrée au ministère, la résoudre sans plus de délai. Mais ai-je besoin de répéter qu'une démonstration navale dépassait les moyens moraux dans lesquels on était convenu à Berlin de se renfermer ?
Il est vrai encore que l'honorable M. de Freycinet a cru qu'une démonstration navale pouvait se faire sans tirer un seul coup de canon. Mais si je suis tout disposé à rendre hommage à sa bonne foi, il m'est impossible partager son opinion sur le caractère d'une opération de cette nature, et je le prie de me permettre de la considérer, jusqu'à preuve du contraire, comme un véritable acte de guerre. Je crois l'avoir démontré, du reste. (Bruit de conversations.)
M. le président. Veuillez, messieurs, cesser ces conversations particulières. Malheureusement, les Chambres n'ont jamais écouté avec beaucoup d'attention les discours lus. (Vives protestations à droite.) Mais il serait de bon goût de faire aujourd'hui une exception en faveur de notre collègue, et de garder le silence.
M. Buffet. Ce n'est pas seulement une question de bon goût, c'est un devoir d'écouter quand un sujet est traité par un homme aussi compétent.
Voix nombreuses. Parlez ! parlez !
M. le vicomte de Gontaut-Biron. Est-ce que d'ailleurs la résolution des puissances, quant à la Grèce, s'était modifiée depuis la séparation du congrès ? En aucune façon, messieurs. Les livres jaunes nous en apportent la preuve.
Dix-huit mois après la clôture du congrès, comme la rectification des frontières ne pouvait aboutir, soit à cause des prétentions exagérées de la Grèce, soit par l'effet des résistances opiniâtres de la Turquie, il y a eu entre les puissances une négociation à propos d'une transaction suggérée par la France. Quelque désireuses qu'elles fussent d'en finir avec cette affaire, aucune d'elles ne s'arrêta à l'idée de recourir à la force. Les deux principaux négociateurs de la transaction étaient la France et l'Angleterre. Le principal secrétaire d'Etat pour les affaires étrangères de la Grande-Bretagne, avant de donner une réponse à notre ministre des affaires étrangères, exprima l'opinion qu'il était désirable que les puissances s'abstinssent de toute action collective pouvant entraîner des mesures de coercition matérielle.
L'honorable M. de Freycinet qui venait de remplacer l'honorable M. Waddington, répondit avec une grande netteté que la France objecterait tout autant que l'Angleterre à l'emploi de la force matérielle, que « pareille hypothèse demeurait exclue à ses yeux en tout état de cause. » Sans doute, il soutenait, — et il avait en cela parfaitement raison, — que de simples conseils ne seraient pas plus écoutés de la Porte que de la Grèce, mais il disait que pour triompher des résistances et des prétentions exagérées des parties en cause, il suffisait d'employer vis-à-vis d'elles la force morale résultant d'un accord parfait de toutes les grandes puissances d'Europe qui leur feraient entendre un langage ferme, résolu et pressant, et il déclarait qu'il ne considérait même pas comme admissible l'hypogée d'une coercition matérielle dans cette affaire. Et comme s'il répondait d'avance à l'éventualité de la démonstration navale, M. de Freycinet disait expressément « qu'il ne saurait entrer dans les plans de la France de prendre part à une expédition armée. » Ce sont ses propres expressions ; elles datent du 15 janvier de cette année même. Je n'ignore pas que le ministère anglais avec qui le nôtre échangeait ces idées, quitta bientôt après le pouvoir, et qu'il fut remplacé par un cabinet dont les tendances pacifiques ont paru moins assurées que celles de son prédécesseur. Mais si lord Salisbury disparaît de la scène politique, M. de Freycinet y reste, de sorte qu'il est assez difficile d'expliquer comment, après les déclarations que je viens de citer, la dernière surtout, il a pu être question pour la France de démonstration navale. (Bruit à gauche.)
M. le président. Veuillez écouter, messieurs.
M. le vicomte de Gontant-Biron. Quoi qu'il en soit, la France, l'Angleterre et les autres puissances éloignent résolument et sans la moindre hésitation toute pensée de recourir à la force. C'était en quelque sorte un principe admis et une base de toute discussion ultérieure : « l'hypothèse de l'emploi de la force, disait notre ministre, demeure exclue à nos yeux, en tout état de causes » ; et l'Allemagne, au rapport de notre ambassadeur à Berlin, déclarait que la pression à exercer sur la Porte ne pouvait, bien entendu, en aucun cas engager les puissances dans une intervention armée. La négociation se termine enfin par l'adoption d'une proposition de l'Angleterre décidant la réunion d'une commission internationale de délimitation, et spécifiant de nouveau que la médiation offerte par les puissances n'aurait pour but que de faciliter les négociations entre les parties et qu'il ne s'agissait de leur part que d'une recommandation.
A ce moment encore, l'emploi de la force et de tout ce qui pouvait lui ressembler était donc bien résolument et bien franchement écarté.
Un peu plus tard, le 15 juin de cette année, une conférence se réunit à Berlin sur l'invitation du gouvernement allemand. La note de la chancellerie impériale portait simplement que l'objet de la réunion était l'exécution du traité de Berlin. Les puissances s'assemblaient, selon les expressions consignées dans le premier protocole de la conférence, à l'effet d'exercer la médiation entre la Turquie et la Grèce, apparemment dans l'esprit du traité. En effet, messieurs, l'Europe n'y a pas modifié ses résolutions antérieures. Celles-ci ne sont rappelées qu'une fois, incidemment, et pour être renouvelées, c'est-à-dire que le recours à la force est répudié derechef, et voici dans quelle circonstance. La conférence discutait la délimitation des frontières de la Grèce ; il y avait particulièrement deux tracés en cause : l'un proposé par la France et l'autre par la Russie. A ce sujet, je ferai, en passant, une observation, si le Sénat veut bien me le permettre. (Bruit. — Parlez ! parlez ! à droite.) Ce n'est pas sans étonnement que j'ai remarqué la différence du tracé proposé et développé par le plénipotentiaire de la France avec celui qu'avait adopté l'honorable M. Waddington et qu'avait accepté complètement, justifié même dans ses dépêches, l'honorable M. de Freycinet, à son entrée au ministère. La nouvelle frontière réclamée par la France dans la conférence exigeait plus de sacrifices encore de la part de la Turquie que l'autre ! S'était-il donc passé entre ces deux époques quelque incident qui eût modifié les résolutions de notre Gouvernement ? Ce serait intéressant à éclaircir. (Le bruit continue. — Protestations à droite.)
M. le président. Veuillez écouter, messieurs.
M. le vicomte de Gontaut-Biron. Quoi qu'il en soit sur ce point, le plénipotentiaire de l'Italie en repoussant le tracé de la Russie déclara que « ce développement territorial, destiné peut-être à exiger l'emploi des moyens coercitifs contre des populations dont les vœux n'auraient pas été suffisamment constatés, ouvrirait éventuellement la voie à des interventions armées, contrairement aux intentions des puissances médiatrices. »
Personne n'éleva d'objection contre le rappel des intentions du congrès : c'était par là même les confirmer. On n'a donc pas plus changé d'avis dans l'intervalle du congrès à la conférence qu'à la conférence elle même : on y est demeuré dans les intentions du congrès.
Mais je ne veux parler que de la France, et je demande : comment expliquer qu'après avoir hautement et persévéramment protesté jusque-là contre la seule pensée de la coercition matérielle, le Gouvernement ait modifié ses résolutions antérieures, conformes à l'esprit des délibérations du congrès et de la conférence, conformes à la volonté du pays exprimée par ses représentants, et qu'il ait conçu une démonstration navale, expression positive à mes yeux d'un changement de politique dans le sens belliqueux ? (Très-bien ! à droite.)
Doit-on croire que ses sympathies pour la Grèce l'ont aveuglé sur la portée de cet acte ?
On se demandait aussi si le Gouvernement français n'aurait consenti à participer à la démonstration navale au profit du Monténégro qu'à la condition qu'une démonstration analogue aurait lieu ensuite en faveur de la Grèce. C'est ce que la presse en Europe, celle qui puise généralement ses informations aux meilleures sources, avait affirmé. Mais que ces deux opérations fussent liées entre elles ou ne le fussent pas, ce qui ne paraissait pas douteux c'est que, dans une entente entre les puissances ; provoquée par la France, la démonstration navale en faveur de la Grèce y aurait été décidée. Nous en trouverions la preuve au besoin dans deux documents officiels, dans le compte rendu de la séance du 2 septembre au parlement anglais où le sous-secrétaire d'Etat annonçait la signature d'une convention des puissances par rapport à la question grecque, et dans la note de la Porte du 4 octobre.
Mais la lumière est faite complètement sur ce point grâce au Livre jaune. Nous y trouvons la confirmation la plus entière des soupçons et des inductions du public sur l'existence d'une convention européenne ayant trait à une démonstration navale en faveur de la Grèce, comme aussi sur la connexité établie à la demande du Gouvernement français entre cette opération et celle dont l'Angleterre avait pris l'initiative dans l'intérêt du Monténégro. J'ai cité tout à l'heure, messieurs, en parlant de cette dernière manifestation, les dépêches de notre ministre des affaires étrangères qui se rapportent à cette affaire : il me suffira donc de rappeler à votre souvenir que l'une des deux conditions mises par le Gouvernement français à son adhésion à la démonstration destinée à aider le Monténégro, était de maintenir cet accord complet en vue d'exiger de la Porte des sacrifices qui lui coûteraient plus que celui de Dulcigno. Je rappellerai encore au Sénat que, dans une seconde conversation avec l'ambassadeur d'Angleterre, l'honorable ministre des affaires étrangères accentua davantage l'énoncé des conditions du concours de la France. Dans l'intervalle de ces conversations, notre ambassadeur à Vienne envoyait des informations au cabinet sur les propositions de l'Angleterre, et, répondant probablement aux préoccupations du ministre, il écrivait que la question grecque se trouvait pour le moment reléguée au second rang, et qu'il serait difficile de saisir quelque indication précise sur les intentions de l'Autriche au cas, disait-il, où, dans la question grecque, des mesures de coercition deviendraient nécessaires contre la Turquie. — Veuillez remarquer, messieurs, l'emploi renouvelé de cette expression ! — Le lendemain, je crois, ou presque au même moment, le ministre donnait à l'ambassadeur d'Angleterre de nouvelles explications sur le concours de la France et il lui disait dans un langage assez animé : « La seconde condition à laquelle, dans notre pensée, notre adhésion au plan suggéré par lord Granville reste subordonnée, c'est que les puissances, en entrant dans la voie qui leur serait tracée, se montrent bien décidées à ne pas la déserter le jour où, après la solution des difficultés spéciales au Monténégro, elles auraient à aborder avec la Turquie d'autres questions d'un intérêt européen plus considérable encore. Il est certain que, quant à nous, il nous serait impossible de justifier devant l'opinion de la France notre coopération à des mesures d'exécution pour l'aplanissement du différend local qui a surgi entre la Turquie et le Monténégro, si nous devions laisser le gouvernement ottoman maître de porter impunément un défi à l'Europe dans l'affaire des frontières grecques. Avant donc de nous engager dans une entreprise du genre de celle où le gouvernement anglais nous convie, nous avons besoin de recevoir l'assurance que les puissances, unanimes pour faire prévaloir leur volonté dans la question monténégrine, agiront avec le même accord, et, s'il est nécessaire, par des moyens semblables, pour obtenir que l'arrêt de leur médiation dans la question grecque soit respecté. »
Sans vouloir controverser cette expression d'« arrêt » des puissances, qui me semble un peu forcée, je l'appellerai encore que l'Angleterre et les autres puissances acceptèrent la condition posée par la France, et que celle-ci apposa sa signature au bas de la note concernant le Monténégro.
Ici je ne puis m'empêcher de demander ce que le Gouvernement pouvait se promettre d'une démonstration navale, telle qu'il l'entendait, pour la solution de la question grecque, c'est-à-dire d'une question qu'il déclarait bien plus considérable encore que celle du Monténégro ? Les difficultés qui se sont élevées à propos de cette dernière, et qui ont fait échec à la première démonstration, doivent tout au moins l'avoir éclairé sur les conséquences certaines de la seconde. Dulcigno est aujourd'hui aux mains du Monténégro, il est vrai ; mais c'est un mois après la fin de la démonstration navale et pour d'autres causes plus graves encore que la Turquie l'a livrée.
Ainsi, il est certain que le Gouvernement avait préparé, voulu et obtenu une démonstration navale en faveur des prétendons de la Grèce, c'est-à-dire que pour résoudre cette question il entrait dans une voie que j'ai suffisamment qualifiée.
On me permettra donc de dire que si le Gouvernement a été imprudent en participant à la démonstration navale au sujet de l'affaire monténégrine, il le serait bien plus encore dans celle des frontières grecques. Dans la première, en effet, on pouvait à la rigueur, sinon justifier, du moins expliquer des manifestations de ce genre par la non-exécution d'un engagement formel de la Turquie. Pour la question grecque il en est tout autrement : il n'y a aucun engagement de la part de la Porte, tout au contraire, mais il y en a un de la part des puissances, celui de n'employer à l'égard de la Turquie aucune mesure coercitive et d'offrir leur médiation dans le seul but de faciliter les négociations entre elle et la Grèce. J'émets donc l'espoir que le Gouvernement renoncera à une nouvelle démonstration navale et qu'il rappellera nos vaisseaux. (Bruit croissant à gauche. — Très-bien ! très-bien ! à droite.)
Mais ce projet de démonstration a-t-il été le seul qui ait témoigné du changement d'attitude du Gouvernement dans cette question ? Non, messieurs ! il y a autre chose encore. Des officiers français, sous la conduite d'un habile général, devaient être envoyés en Grèce pour hâter de leur expérience l'instruction de l'armée hellénique. La mission — sur l'origine de laquelle il règne un certain mystère dont l'éclaircissement serait bien désirable — n'est pas partie il est vrai : l'opinion publique, alarmée d'un fait qui équivalait à ses yeux à une mesure belliqueuse, s'est prononcée avec une telle unanimité que les ordres de départ ont été contremandés. Mais le projet n'en a pas moins été formé et sur le point d'être mis à exécution ; cela seul est grave. Rapprochez ce projet de la correspondance diplomatique écrite avec une si étonnante persistance, empreinte d'une partialité si mal dissimulée, rapprochez le encore du plan de démonstration navale, et ne serez-vous pas fondés à dire, messieurs, que le Gouvernement s'est laissé glisser sur une pente aboutissant à une politique que ne justifient, je le répète, ni les stipulations du traité de Berlin, ni les négociations suivies depuis, ni la décision de la conférence, ni la volonté du pays, ni les engagements enfin pris par lui-même vis-à-vis de la France ? (Nouvelle approbation à droite.)
Messieurs, on devrait se féliciter d'entendre le ministère affirmer son esprit pacifique dans une déclaration comme celle du 9 novembre. Nous sommes tout disposés à croire à la sincérité de ces sentiments chez l'honorable ministre des affaires étrangères. Mais comment ne remarque-t-il pas, — qu'il me pardonne de le lui dire — une contradiction manifeste entre ses paroles et les actes que je viens de signaler ? Ce sont ces actes qui, reliés les uns aux autres, forment comme une chaîne dans laquelle je crains de voir le Gouvernement enlacé de telle sorte qu'il soit entraîné à des mesures équivoques, à des alliances peut-être compromettantes pour la politique de paix ; ce sont eux qui provoquent mes alarmes, et je ne suis pas le seul à les ressentir. S'il écoute les bruits persistants du dehors, il les comprendra ! (Très bien ! à droite.) Me permettra-t-on enfin de signaler une considération que je ne ferai qu'effleurer ? La France s'est faite et se fera toujours honneur de protéger les faibles ; mais, ce serait la marque d'une politique révolutionnaire que d'intervenir, en leur faveur, aux dépens de la justice et du droit des gens, en même temps que ce serait le renversement de la saine politique, que d'intervenir au risque de compromettre la paix pour soi et pour l'Europe. (Vive approbation à droite.) Messieurs, doit-on s'étonner, après ce que nous avons vu de l'attitude que vient de prendre la Grèce et du langage de ses hommes d'Etat ? la responsabilité n'en remonte-t-elle pas, en partie du moins, à certains encouragements irréfléchis, à certaines sympathies indiscrètes, les unes très-désintéressées sans contredit, les autres peut être inconsidérément ambitieuses ? Je ne veux rien dire qui nuise aux égards que l'on doit à une nation dont les débuts ont été héroïques, et à laquelle la France a donné depuis longtemps des témoignages d'estime et d'intérêt en faisant en sa faveur des sacrifices de plus d'une sorte.
C'est précisément en raison de l'intérêt qu'excite la Grèce que je ne pourrais m'empêcher de regretter les illusions auxquelles elle s'abandonnerait. Je ne veux pas, à cette tribune, relever ce qui aurait été dit dans la Chambre hellène, quant à l'interprétation des discussions et des résolutions du congrès et de la conférence ; je ne relèverai pas davantage une assertion ou bien une rectification émise récemment, de l'autre côté du détroit, par un ancien plénipotentiaire du congrès, qui peut avoir ému la Grèce. Je n'ai aucune autorité, messieurs pour donner des conseils à cette nation, mais j'espère qu'elle observera les modifications d'aspect survenues dans l'horizon politique depuis la résolution du sultan de céder Dulcigno. Je le faisais remarquer tout à l'heure au Sénat, plus d'un grand Etat depuis ce moment a montré quelque froideur pour les démonstrations navales. On entend dire plus couramment qu'il ne convient pas de réclamer de la Turquie la solution immédiate des questions pendantes. Le premier ministre d'Angleterre déclarait, il y a peu de jours, sur un ton assez peu guerrier, que l'Angleterre n'était pas disposée à agir isolément, et tout en vantant justement l'efficacité du concert européen pour faire exécuter le traité de Berlin, il appuyait sur la difficulté de le mettre en mouvement. Enfin, la Grèce ne remarque-t-elle pas les tendances de l'opinion publique un peu partout de regarder d'un mauvais œil toute mesure capable de porter atteinte à la paix générale ?
S'il ne m'appartient pas, messieurs, de prendre le rôle de conseiller, j'ai droit au moins d'espérer que le Gouvernement, avec l'autorité qui lui est propre, appellera l'attention de la Grèce sur les considérations que je viens d'exposer brièvement. J'ose espérer que, par la même occasion, il y rencontrera des motifs de prudence pour lui même ! J'espère qu'il retiendra la Grèce dans la voie périlleuse où elle est entrée, par suite, je le crains, de nos encouragements antérieurs, et qu'en tous cas, la Grèce ne crût-elle pas devoir suivre ses conseils, il ne la laissera pas dans l'illusion cruelle consistant à croire que les mesures belliqueuses pourraient à elles seules faire sortir la France de sa réserve. (Très-bien ! très-bien ! à droite.)
Le ministre des affaires étrangères d'Autriche-Hongrie disait naguères aux délégations que son gouvernement était prêt à user de toute son influence diplomatique au profit des populations grecques.
C'est une attitude semblable, suivant moi, que nous devons prendre. Avant d'être Philhellène ou Turcophile, soyons Français. (Vive approbation sur les mêmes bancs.)
La paix ! messieurs, la paix, sans jactance comme sans faiblesse, ainsi que l'a très-bien dit un ministre déchu. Voilà ce que veut la France. (Bruit de conversations à gauche.)
M. le président. Veuillez, messieurs, cesser les conversations particulières.
M. le baron de Lareinty. C'est un parti pris !
M. Lambert de Sainte-Croix, à la gauche. Ecoutez au moins les questions posées au ministre !
M. le vicomte de Gontaut-Biron. Je me résume :
Je demande au cabinet :
1° Communication des pièces servant à déterminer la suite de l'action de la France dans la question grecque et des instructions générales et spéciales données au commandant de la flotte ;
2° Des explications sur le projet d'envoi d'une mission en Grèce ;
3° Et, puisque j'ai l'occasion de poser des questions au cabinet, je le prie de m'autoriser à lui en adresser une autre à propos de laquelle je n'ai pu introduire de discussion parce que le public en connaît très-peu de chose et que je n'ai trouvé nulle part de pièces officielles s'y rapportant. Mais il est constant que, vers le mois de juillet dernier, après la séparation des Chambres, si je ne me trompe, deux cuirassés français ayant à bord des troupes de débarquement, parurent dans la baie de Tunis. Certains dissentiments avaient éclaté entre le bey et la France. Quelle solution leur a été donnée ? Est-ce qu'il aurait été question dans un cas donné, comme c'est probable, de faire appel à la force ? Et, le cas échéant, le Gouvernement se serait il cru en droit de faire là aussi un acte de guerre sans l'assentiment du Parlement ?
Sur tous ces points, le Gouvernement me permettra d'attendre ses explications et de souhaiter de sa part des déclarations entièrement rassurantes. (Applaudissements à droite.)"
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