
Informations biographiques sur les officiers cités :
Patrice de Mac Mahon (maréchal) : de tendance légitimiste, il participa à nombre d'opérations en Algérie (de 1830 jusqu'aux années 1840), il combattit les Hollandais lors du siège de la citadelle d'Anvers (1832), reçut un commandement lors de la guerre de Crimée et s'illustra particulièrement à la bataille de Malakoff (1855), sénateur (1856-1870), il retourna en Algérie (1856) et mena une campagne victorieuse en Kabylie (1857), vainquit les Autrichiens à Magenta (1859), gouverneur général de l'Algérie (1864-1870), essuya la défaite de Sedan face aux Prussiens (1870), commanda l'armée versaillaise durant l'écrasement de la Commune de Paris (1871), président de la IIIe République (1873-1879), il prit à cette occasion des mesures d'ordre moral.
Louis Juchault de Lamoricière (général) : de tendance saint-simonienne puis ultramontaine, il fut également impliqué dans de nombreuses batailles en Algérie sur la même période (commandements chez les zouaves), premier directeur du bureau des affaires arabes (1833), gouverneur général de l'Algérie par intérim (1845-1847), député de la Sarthe (1846-1851), vainqueur d'Abd el-Kader (1847), participa à la répression des journées insurrectionnelles de juin 1848, ministre de la Guerre sous la IIe République (1848), opposant politique à Louis-Napoléon Bonaparte, arrêté lors du coup d'Etat de 1851, incarcéré puis banni du territoire français (1852), autorisé par Napoléon III à retourner en France en 1859 (pour voir son fils gravement malade, qui décéda avant son arrivée), réorganisa et commanda l'armée pontificale en Italie (1860).
Arthur Patas d'Illiers (commandant) : aide de camp de Lamoricière à Oran (1841), puis chef d'escadron d'état-major.
Edmond-Charles de Martimprey (général) : envoyé en Algérie en 1835, prit part à la répression de l'insurrection parisienne de juin 1848, partisan de Napoléon III, chef d'état-major de l'armée pendant la guerre de Crimée, aide-major général de l'armée durant la campagne d'Italie (1859), dirigea ensuite l'expédition contre les Beni-Snassen au Maroc (1859), gouverneur général de l'Algérie par intérim (1864), sénateur (1864-1870).
Thomas Robert Bugeaud (maréchal) : de tendance orléaniste, il fit ses premières armes dans la Grande Armée de Napoléon Ier, servant notamment en Espagne, député sous la Monarchie de Juillet et la IIe République (1831-1849), prit part à la répression de l'insurrection parisienne d'avril 1834, envoyé en Algérie (1836) pour écraser Abd el-Kader, gouverneur général de l'Algérie (1841-1847), commanda l'armée face aux révolutionnaires parisiens en février 1848.
Marie-Alphonse Bedeau (général) : de tendance saint-simonienne, il servit en Algérie de 1837 à 1847, participant notamment à la bataille d'Isly (1844), gouverneur général de l'Algérie par intérim (1847), prit part à la répression de la révolution de février 1848, blessé en combattant les insurgés de juin 1848 à Paris, siégea à la droite de l'Assemblée législative (1848), arrêté lors du coup d'Etat de 1851 et incarcéré, exilé en Belgique (1852), amnistié (1859).
Pierre-Napoléon Bonaparte (commandant) : fils de Lucien Bonaparte et donc neveu de Napoléon Bonaparte, il fut député de la Corse (1848-1851), chef de bataillon dans la Légion étrangère en Algérie, il prit part au siège de Zaatcha (1849).
Patrice de Mac Mahon, Mémoires du Maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta. Souvenirs d'Algérie, Paris, Plon, 1932 :
"On faisait alors dans ce port [Toulon] de grands préparatifs pour l'embarquement des troupes et de tous les services. Bien qu'il ne se fût écoulé que trois mois depuis la déclaration de guerre, je ne pense pas que jamais expédition maritime ait été mieux organisée sous tous rapports.
L'armée se composait de trois divisions d'infanterie, de deux escadrons de cavalerie et d'une artillerie de campagne et de siège suffisante. La flotte comprenait une flotte de bataille, destinée à combattre les batteries de côte ennemies, une flotte de débarquement et, enfin, une flotte de transport, avec des approvisionnements pour trois mois. L'organisation administrative avait été dirigée en grande partie par le général Clouet. Au moment de l'embarquement, Monsieur le Dauphin vint inspecter la flotte à Toulon et assister à un simulacre de débarquement. Il fut l'objet d'un enthousiasme extraordinaire. Tous, civils et militaires, l'acclamèrent aux cris répétés de : « Vive le Roi ! Vive le Dauphin ! »
Enfin, le 25 mai 1830, sur les trois heures de l'après-midi, le signal du départ fut donné et les bâtiments, en sortant de la rade, prirent leur ordre de marche. Ce spectacle impressionna vivement les assistants.
Quelques jours après, nous arrivâmes près de la côte africaine. On apercevait, en amphithéâtre, la ville d'Alger, mais, comme le vent fraîchissait, le vice-amiral Duperré, commandant en chef la flotte, donna ordre de virer de bord et de reprendre la direction du nord. Cette manœuvre, plusieurs fois répétée et incomprise par les troupes embarquées, fut l'objet d'un mécontentement général contre la marine.
En réalité, l'amiral se rappelait par trop, semble-t-il, les désastres que les flottes européennes avaient subis plusieurs fois sur la côte d'Afrique et spécialement la flotte de Charles-Quint. Nombre de marins assurent qu'on aurait pu débarquer huit ou dix jours plus tôt.
Le général de Bourmont, qui commandait l'armée de terre, avait reçu du Roi un ordre de service lui donnant le droit de prendre le commandement de la flotte, s'il le jugeait nécessaire. Il fut, m'ont assuré plusieurs de ses officiers, deux fois sur le point d'user de ce droit, mais il s'arrêta devant la crainte de mettre la discorde entre l'armée de terre et l'armée de mer.
Pendant que nous faisions ces allées et venues entre l'Afrique et les Baléares, nous vîmes un jour deux frégates turques cingler sur le vaisseau-amiral qui portait le général de Bourmont ; les bâtiments mirent en panne, plusieurs heures durant, et le bruit se répandit que le Sultan [Mahmut II], inquiet de l'expédition dirigée contre un pays qui le reconnaissait encore comme suzerain, offrait au Roi de retirer la régence au Dey d'Alger [Hussein Bey (originaire d'Izmir)], et de lui accorder les indemnités qu'il voudrait réclamer [bien qu'ils menaient une politique quasi-indépendante (grâce à l'éloignement géographique), les deys d'Alger (qui n'ont jamais formé de dynastie héréditaire) s'appuyaient sur des renforts de troupes et de cadres fournis par la Porte ottomane]. Ces propositions furent réellement faites, mais le général, qui avait pleins pouvoirs, les rejeta sans hésitation. (...)
Enfin, le 13 juin, la flotte arriva en face d'Alger en bon ordre de bataille, fit tête de colonne à droite, et vint s'embosser en face de la rade de Sidi-Ferruch :
L'escadre de bataille devant le fort de ce nom, et les batteries du rivage
L'escadre de débarquement, en bataille, le plus près possible de la terre.
Le 14 juin, à deux heures du matin, la première division d'infanterie, général Berthezène, fut embarquée avec son artillerie sur des bateaux plats, qui avaient été transportés par des vaisseaux et des frégates. Au point du jour, le signal de débarquement fut donné et, en moins d'une demi-heure, l'infanterie de la première division était rangée en bataille sur la plage.
Le 20e de ligne faisait partie de la troisième brigade de cette division, et se trouvait par suite très près du fort de Sidi-Ferruch, qui n'était en réalité qu'une grande mosquée entourée de murs. A peine débarqué, j'aperçus un jeune enseigne courant à la mosquée avec une vingtaine d'hommes armés de pétards et de pioches. J'aurais certainement donné tout ce que je possédais pour être à sa place. Il enfonça la porte, et planta le drapeau blanc sur le minaret de la mosquée. Le général Berthezène, après avoir porté ses troupes en avant, voulut attendre son artillerie dont le débarquement avait été plus difficile. Il fit former les faisceaux.
Dans ce moment, une batterie de six pièces de gros calibre ouvrit le feu contre nous et contre les bâtiments de la flotte. Plusieurs boulets passèrent au-dessus de la tête de nos hommes qui, par un mouvement instinctif, se jetèrent à terre. Indigné de ce mouvement, je leur dis avec vivacité qu'il était stupide de saluer ainsi. Je faisais le fanfaron, lorsque, tout à coup, un de ces gros boulets enleva deux files complètes à côté de moi, et dispersa leurs membres de tous côtés. J'avoue que, sans avoir le temps de réflexion, je ne pus m'empêcher de baisser la tête. J'en éprouvai une grande honte. Ce fut du reste la seule fois qu'un mouvement de ce genre me surprit.
Quelques heures après, un boulet passa également très près de la tête de Charles de Maillé, officier d'ordonnance du général de Bourmont, qui ne put s'empêcher de se baisser.
Un de ses camarades des pages, M. de Belle-Isle, se mit à rire aux éclats. De Maillé, furieux, descendit aussitôt de cheval et, tirant son sabre, déclara à son ami qu'il voulait avoir raison de cet outrage, et l'invita à se défendre, car il était décidé à lui passer son arme à travers le corps. Par le fait, M. de Belle-Isle ne fut que légèrement blessé.
L'artillerie de la première division ayant rejoint les troupes, le général Berthezène se porta en avant pour attaquer la position. Le colonel du 20e, Horric, fit déployer quelques compagnies en tirailleurs.
Par une circonstance des plus heureuses, je fus appelé à commander la section qui se trouvait juste en face de la batterie et, me rappelant l'affront que celle-ci m'avait fait subir en me forçant à saluer, je me jurai à moi-même d'y entrer le premier. Je marchai sur elle en enlevant mes hommes au pas de course.
Déjà, j'avais tiré mon mouchoir blanc, et je l'attachais à une branche de lentisque pour le planter sur le retranchement dont je n'étais plus éloigné que de 150 mètres, lorsque je vis arriver au galop l'officier d'ordonnance du général Clouet, commandant la brigade. Il me donna l'ordre de m'arrêter. C'était le lieutenant Hector de Béarn, des hussards de la Garde, que je connaissais depuis longtemps. Je lui dis que les Turcs s'étaient retirés, et qu'il était urgent de continuer le mouvement pour les empêcher de revenir à leurs pièces. Je le forçai à m'entendre, je portai même mes hommes un peu en avant ; mais il me réitéra, au nom de son général, l'ordre formel de m'arrêter. Les Turcs, voyant cette inaction, revinrent sur leurs pas et, pendant plus d'une demi-heure, exécutèrent sur nous un feu des plus violents.
Les pièces furent enfin enlevées par des troupes qui avaient été envoyées pour les tourner. Celui qui planta le drapeau blanc sur cette batterie était mon camarade d'école, le sous-lieutenant Bessières. Il fut pour le fait nommé chevalier de Saint-Louis et le dernier nommé dans cet ordre. J'aurais été heureux d'être l'objet d'une pareille distinction.
Plusieurs fois, au cours de ma carrière, j'ai vu des faits de ce genre se produire. A Balaklava [lors de la guerre de Crimée], par exemple, lord Raglan, des hauteurs du plateau de Chersonèse, aperçut des troupes russes en marche sur des redoutes que les Turcs construisaient en face, à environ quatre kilomètres du point où il se trouvait. Voulant arrêter le mouvement ennemi, lord Raglan prescrivit à l'un de ses aides de camp, le capitaine Nolan, de donner l'ordre au général Cardigan, commandant la cavalerie anglaise établie à environ un kilomètre de ces redoutes, de charger les troupes russes et de s'emparer de leur artillerie. L'aide de camp partit à grande allure, et comme, dans ce long trajet, il avait à descendre une pente assez rapide, il lui fallut un temps relativement long pour arriver près de lord Cardigan. Pendant ce temps, la cavalerie russe avait enlevé l'ouvrage, et l'infanterie était venue occuper des positions à droite et à gauche.
En recevant l'ordre, le général Cardigan fit observer à l'aide de camp les changements survenus depuis qu'il avait quitté le général en chef, et le péril qu'il y avait h exécuter à la lettre de telles instructions, dont le résultat serait de faire tuer pour rien un grand nombre d'hommes. Nolan répondit fièrement qu'il n'avait pas à apprécier les ordres de son général, et que lui-même, Cardigan, n'avait qu'à les exécuter.
Le général tira alors son sabre, et commanda : « En avant, » en ajoutant : « Que Dieu protège le dernier des Cardigan ! »
Il chargea sur les batteries russes mais, assailli sur son front et sur les flancs par les feux de l'infanterie, il laissa sur le terrain la moitié de ses hommes et de ses chevaux, et en aurait probablement ramené encore moins si le général Morris, en apercevant ce mouvement, ne s'était jeté avec deux escadrons de chasseurs d'Afrique sur les batteries qui prenaient en flanc et par derrière la cavalerie anglaise. Il est juste d'ajouter que l'aide de camp anglais, au lieu d'aller rejoindre son général comme il était en droit de le faire, se plaça à côté de lord Cardigan, et fut mortellement blessé pendant la charge. Quant au général, il eut son cheval tué, mais put se retirer à pied.
Instruit par de semblables exemples, lorsque plus tard j'envoyais, pendant le combat, des officiers d'état-major porter des instructions aux généraux placés sous mes ordres, j'avais toujours soin de mettre ces officiers au courant de la situation qui avait provoqué ma décision, et je les autorisais à laisser apporter à celle-ci telle modification qu'imposeraient les circonstances. (...)
Le 18 juin, eut lieu la bataille de Staouëli. L'armée française fut attaquée par l'ennemi, qui comptait cinquante mille hommes environ.
A la pointe du jour, six mille Turcs bien groupés se jetèrent avec la plus grande impétuosité sur la gauche de l'armée, la brigade Clouet, dont le régiment de grand'garde, le 28e, fut un moment obligé de céder du terrain en perdant beaucoup de monde. Le 20e régiment qui était à sa droite tint bon, mais le 37e, qui se trouvait plus loin, eut tous ses postes enlevés.
Le général Clouet, se mettant alors à la tête du 20e, se précipita en avant. Ce retour offensif, bientôt soutenu par deux régiments voisins, força l'ennemi à rétrograder ; l'attaque s'étendit sur toute la ligne avec une grande vigueur.
Le général Berthezène ne croyait pas devoir faire un mouvement général en avant sans ordre du commandant en chef, qui était encore à Sidi-Ferruch. Cependant les attaques des Turcs obtenant quelques succès, il donna l'ordre de s'avancer en échelons par la gauche. Mais la deuxième division, qui se trouvait a notre droite, ne suivit pas ce mouvement et Berthezène arrêta alors ses troupes dans une position convenable, encore assez éloignée du camp ennemi, situé sur les hauteurs de Staouëli. Sur ces entrefaites, le général en chef arriva et prescrivit un mouvement en avant de toutes les troupes.
Peu après, nous parvînmes au sommet de la position, au camp de Staouëli, composé de plus de dix mille tentes et encombré de serviteurs et de bêtes de somme courant de tous côtés.
En passant près d'une tente, d'apparence beaucoup plus riche que les autres, j'entendis des cris aigus. J'y pénétrai et me trouvai en présence d'un vieillard qui me faisait signe de lui tirer dans le cœur. J'eus toutes les peines du monde lui faire comprendre qu'il n'avait rien à redouter. Il me remit son pistolet que j'ai donné plus tard à mon frère Joseph.
Le bivouac du 20e de ligne avait été établi sur l'emplacement du marché, envahi par les puces. Notre cuisinier était très maladroit et lorsqu'il nous servit la soupe, — la seule nourriture qui nous restât, — elle était remplie de ces insectes. N'ayant rien mangé de la journée, je me trouvai dans la nécessité ou de ne rien prendre, ou de me contenter de cette soupe aux puces. Je me rappelai le dicton assurant que, si on présentait un ragoût de cette espèce à un Anglais, il le jetterait avec mépris, qu'un Français en retirerait les insectes et l'avalerait, et qu'un Allemand absorberait le tout sans difficulté. Je fis comme mon compatriote, j'écumai la soupe et la mangeai sans dégoût !
Le 22, nous nous portâmes en avant sur les positions de Sidi-Kalef. Mon capitaine étant malade et le lieutenant blessé, j'eus le commandement de ma compagnie, détachée en tirailleurs. En débouchant d'un petit bois de cactus, j'aperçus devant moi un grand troupeau de bœufs. Je me lançai avec mes hommes à leur poursuite, mais ils couraient plus vite que nous et nous ne pûmes en capturer qu'une partie. Je rentrai au camp triomphant et présentai ma prise au colonel qui fronça le sourcil, ne me dit pas un mot et donna l'ordre de réunir tous les officiers. Cet accueil ne me paraissait pas de bon augure et je craignais de recevoir un blâme au lieu des éloges que j'avais cru mériter.
Après avoir donné quelques ordres de service, le colonel ajouta : « Il y a parmi vous de jeunes officiers peu expérimentés ; l'un d'eux, étant en tirailleurs, a quitté la ligne de bataille afin de poursuivre un troupeau ; il croit sans doute avoir bien mérité, mais moi, je lui inflige un blâme officiel. Si pareil acte se reproduisait, je n'hésiterais point à envoyer le coupable au dépôt. » Je me retirai assez confus.
Le 26, l'armée marcha sur ce fort « l'Empereur » en suivant les sentiers indiqués exactement par la carte du colonel Boutin, que l'empereur Napoléon avait envoyé autrefois à Alger, avec mission d'étudier le terrain. A une heure environ du fort, on aperçut, au sud, c'est-à-dire du côté opposé à la Méditerranée, une grande étendue d'eau que qu'on prit pour la mer.
Le général en chef fit arrêter toutes les colonnes et, croyant Alger beaucoup plus sur la droite, donna à l'armée ordre de prendre cette direction. La deuxième division, Loverdo, se jeta par suite dans les ravins inextricables qui descendent de la Bouzaréah et il lui fut impossible de rallier ses troupes avant la nuit. On finit par reconnaître l'erreur et on la rectifia.
Si les Turcs, qui s'étaient établis sur la véritable route du fort, avaient attaqué dans ce moment la 2e division, ils lui auraient fait éprouver des pertes considérables.
On éleva des tranchées et des batteries autour du fort.
Le 21, le général en chef invita l'amiral à faire une diversion sur la ville d'Alger. Celui-ci lui répondit qu'il ne pouvait faire qu'une simple démonstration jusqu'au moment ou l'armée de terre aurait pris le fort de Babazoun. (...)
A deux heures [4 juillet], un parlementaire se présenta au général de Bourmont au fort l'Empereur. Le Dey offrait la paix en s'engageant à payer les frais de la guerre. Le général répondit qu'il exigeait avant tout la remise de la Casbah et des forts, et congédia l'envoyé. Peu après, deux Maures se présentèrent à leur tour comme parlementaires. En entendant les conditions posées par le général en chef, l'un d'eux pensa que les insultes faites à la France par le Dey devaient être la cause de leur rigueur [la France du Directoire avait contracté auprès de la Régence d'Alger une dette à propos de l'achat de blé (1796), cette dette ne fut jamais réglée par les régimes français successifs : irrité par la réponse dilatoire du consul de France (Pierre Deval), Hussein Bey lui administra de légers coups de chasse-mouche (1827)] et dit au général de Bourmont : « Si cela vous fait plaisir, j'irai vous chercher la tête du Dey, et vous la présenterai sur un plat ! » On eut beaucoup de peine à le dissuader de ce projet.
Le général lui indiqua alors ses conditions pour la capitulation :
« Le fort de la Casbah, tous les autres forts qui dépendent d'Alger et le port de cette ville devront être remis aux troupes françaises le 5 juillet, à dix heures du matin (heure française). Le général en chef s'engage à laisser au Dey la liberté et la possession de tous ses biens.
« Il sera libre de se retirer avec sa famille et son trésor particulier dans le lieu qu'il aura fixé. Tant qu'il restera à Alger, il y sera, lui et les siens, sous la protection du général en chef de l'armée française. Une garde garantira la sûreté de sa personne et celle de sa famille.
« Le général en chef assure à tous les soldats de la milice les mêmes avantages et la même protection.
« L'exercice de la religion mahométane restera autorisé, la liberté des habitants de toutes les classes, leur religion, leurs propriétés, leur commerce, leur industrie, ne recevront aucune atteinte. Leurs femmes seront respectées, le général en chef en prend l'engagement d'honneur.
« L'échange de cette convention devra être achevé le 6 avant dix heures du matin. Les troupes françaises entreront aussitôt après dans la Casbah et dans tous les autres forts de la ville. »
Dans la nuit, le général de Bourmont apprit que la capitulation avait été signée par le Dey. A la pointe du jour, on aperçut un grand nombre de barques se dirigeant sur le cap Matifou et, du côté de la porte Babazoun, des masses de population, Turcs, Kabyles, Arabes s'enfuyant en désordre vers la Maison Carrée.
Le 5 juillet, à neuf heures, l'armée française occupa Alger et les forts extérieurs. Le général en chef entra dans la Casbah, que le Dey avait quittée pour aller s'établir dans un de ses palais de la ville basse. Les troupes ne commirent ni désordre, ni pillage.
Dans cette campagne, l'armée française avait eu quatre cents tués et deux mille trois cents blessés.
Quelques jours après la prise d'Alger, plusieurs officiers attachés au général Berthezène étant malades, il me prit auprès de lui comme officier d'ordonnance. Je l'accompagnai le jour où le général de Bourmont, qui venait d'être nommé maréchal, l'invita à visiter le trésor dont il venait de recevoir les clefs des mains du Dey.
La pièce renfermant ces richesses avait environ six mètres de long sur cinq de large dans le fond se trouvait un barrage de madriers d'environ deux mètres de haut ; l'espace compris entre ces madriers et la muraille était rempli de monnaies d'argent de toutes espèces. Sur la droite, il y avait un grand coffre de pièces d'or et surtout de doublons d'Espagne et, par terre, trois ou quatre petites meules en or. Ce trésor représentait quatre-vingts millions, somme plus que suffisante pour payer les frais de la guerre.
Je me trouvais également au grand quartier général, à la Casbah, lorsque le Dey vint prendre congé du Maréchal. On lui rendit les honneurs militaires et la musique joua l'air : « Ah ! quel plaisir d'être soldat ! » qui me parut très bien approprié à la circonstance.
Ayant manifesté quelques inquiétudes sur la situation qui lui serait faite, le Dey reçut du Maréchal l'assurance que son trésor particulier et ses femmes seraient embarqués avec lui pour Livourne, qui lui avait été assignée comme résidence fixe. Le Dey témoigna au Maréchal toute sa reconnaissance pour la façon dont la France agissait à son égard. Tous les Turcs qui habitaient Alger furent également embarqués pour Constantinople. Ce fut une grande faute, car eux seuls connaissaient l'organisation du pays et la manière d'assurer sa sécurité. Après leur départ, les fonctionnaires furent dans l'impossibilité de diriger des populations dont ils ne connaissaient ni la langue, ni les mœurs, ni les usages. Il leur fallut plusieurs années pour se mettre au courant. Si, au lieu de renvoyer tous les Turcs, le commandant en chef s'était borné à faire embarquer avec le Dey les hauts fonctionnaires, ou ceux d'entre eux qui se montraient hostiles à la France, nous aurions pu assurer plus facilement la conquête et la sécurité du pays. En prenant à notre service les Turcs de la milice et les Maghzens [unités supplétives] arabes, il y a tout lieu de croire que ceux-ci auraient su maintenir les indigènes sous notre domination. La fidélité du bataillon turc organisé à Bône ou des tribus Maghzens, que nous avions conservées dans la province d'Oran et, plus tard, celle des corps indigènes, tirailleurs ou spahis, prouve que nous aurions pu nous fier au loyalisme des musulmans.
Les Arabes furent longs à comprendre notre manière de commander. Bien souvent, j'ai entendu des chefs indigènes me dire :
— Vous, Français, vous ne savez pas administrer les Arabes ! Vous ne savez ni punir, ni récompenser !
Ils auraient voulu nous voir frapper avec une grande énergie les tribus qui se révoltaient, tranchant la tête de quelques chefs et conservant leurs biens ; mais, en revanche, récompenser ceux qui nous rendaient des services, en leur donnant une part du butin provenant des razzias. Après la prise d'Alger, les beys des trois provinces de la Régence vinrent faire leur soumission." (p. 2-20)
"Le 21 novembre [1836], au matin, le maréchal [Bertrand Clauzel] se porta sur Constantine [lors du premier siège de Constantine (capitale du beylik de l'Est) : cette bataille fut une défaite pour l'armée française, qui dut recommencer un second siège l'année suivante].
Il était absolument persuadé que cette ville lui ouvrirait ses portes. Aussi fit-il lire aux troupes un ordre du jour indiquant que dans la journée même elles entreraient dans la place, que le général Trézel en prendrait le commandement, et que le général du Verger, chef d'état-major, serait chargé d'assurer le logement dans les différents quartiers.
Le maréchal marchait en tête de l'avant-garde. Arrivé à hauteur du marabout de Sidi-Mabrouck, il ordonna au général de Rigny de traverser le Bou Merzoug et le Rummel, près de l'ancien aqueduc romain, et de marcher ensuite sur le Coudiat-Aty, qui domine la ville à l'ouest ; au général Trézel de porter ses troupes sur le plateau de Mansourah. Ces ordres donnés, il se rendit avec son état-major et une faible escorte sur le Mansourah, séparé de la ville par le Rummel, qui avait creusé son lit à travers des escarpements infranchissables. Il se dirigeait vers le pont d'El-Kantara d'où il s'attendait à voir déboucher une députation lui apportant les clefs de la ville. Il était de très bonne humeur ; je chevauchais à ses côtés, et lui dis :
— Vous souvenez-vous, monsieur le maréchal, qu'il y a aujourd'hui six ans, vous avez enlevé le col de Mouzaïa ?
— Oui, répondit-il, et tout à l'heure nous allons entrer à Constantine, mais d'une manière moins périlleuse.
A ce moment précis, nous entendîmes un coup de canon tiré de la ville. Le maréchal crut que c'était une salve d'honneur, mais, peu après, une bombe énorme vint éclater à ses pieds... Elle expliquait clairement la manière dont nous allions être reçus !
Un grand drapeau rouge traversé d'un cimeterre blanc fut arboré sur la Casbah. Le maréchal, sans témoigner la moindre émotion, continua sa reconnaissance du plateau, il pouvait se rendre compte exactement de la position. Il envoya au général de Rigny l'ordre de se porter, dès qu'il aurait traversé le Rummel, sur les hauteurs qui se trouvaient devant lui et de gagner, en se défilant du feu de la place, la seule langue de terre par laquelle on pût pénétrer de ce côté dans la ville le Coudiat-Aty. Il lui donnait pour point de direction le minaret d'une mosquée qui s'apercevait de tous côtés et qui, dans le tableau d'Horace Vernet de la prise de Constantine, est représenté en avant de la brèche.
Le général de Rigny eut beaucoup de peine à franchir les deux rivières, dont les eaux étaient profondes et rapides. Ses pièces de campagne ne purent pas passer, et durent rétrograder sur le Mansourah.
Les défenseurs de la place, voyant les difficultés que nous éprouvions, sortirent en grand nombre dans l'espoir de nous arrêter. Quelques compagnies du bataillon d'Afrique et la cavalerie, ayant gagné la rive gauche, les ramenèrent jusqu'au Coudiat-Aty.
Pendant ce temps, le maréchal indiquait les positions que devaient occuper les troupes du général Trézel. Le 22, il rectifia les emplacements des batteries de campagne arrivées seulement à l'entrée de la nuit. Une demi-batterie devait contrebattre les batteries turques d'El-Kantara ; l'autre demi-batterie, que l'on parvint à faire descendre sur un petit plateau au-dessus du tablier du pont d'El-Kantara, devait abattre les portes de la place. Enfin toutes les batteries de montagne et une batterie de fuséens devaient tirer sur la ville pour l'incendier.
Leurs projectiles ne produisirent qu'un effet insignifiant. Une légère fumée s'échappait du toit des maisons atteintes, mais se dissipait presque aussitôt, sans provoquer d'incendie." (p. 61-63)
"Le général en chef [Charles-Marie Denys de Damrémont] établit son quartier général à Sidi-Mabrouck [à l'occasion du second siège de Constantine (1837)]. Pendant qu'il donnait ses instructions pour l'installation des ambulances, des parcs et des autres services, les généraux Valée et Rohault de Fleury, accompagnés du colonel Tournemire qui, l'année précédente, avait commandé l'artillerie du corps expéditionnaire, firent la reconnaissance des abords de la place. Ils jugèrent, comme on l'avait fait en 1836, que le seul et véritable point d'attaque était le contrefort du Coudiat-Aty et vinrent en rendre compte au général Damrémont. Aussitôt, celui-ci dirigea deux brigades sur ce point, conservant les deux autres sur le Mansourah.
Il laissa au général Valée le soin de placer les batteries de siège comme il l'entendrait. Ce dernier décida que deux batteries seraient établies sur le Coudiat-Aty, et trois autres sur le Mansourah, avec mission de neutraliser les batteries de la Casbah, et de prendre à revers les défenseurs du front d'attaque. Le duc de Nemours [fils de Louis-Philippe] fut nommé commandant du siège.
Dès la première nuit, l'artillerie commença la construction de ses batteries, et le génie, celle des retranchements du Coudiat-Aty, destinés à couvrir les troupes.
Le 7 [octobre 1837], les assiégés firent deux sorties simultanées, l'une par El-Kantara, l'autre par le Coudiat-Aty. La première, qui n'avait pour tout débouché que le pont, fut repoussée immédiatement. La seconde fut plus sérieuse : 3 ou 4 000 Turcs et Kabyles, faisant irruption par les trois portes du front d'attaque, parvinrent jusqu'au sommet derrière lequel se trouvaient les retranchements de la Légion étrangère. Dès les premiers coups de fusil, le commandant Bedeau, qui commandait le bataillon, fit rompre les faisceaux. Les hommes se précipitèrent sur les assaillants et les rejetèrent dans la place en leur faisant éprouver des pertes sensibles.
Ces mouvements des assiégés avaient été combinés avec ceux de la cavalerie du bey [Hadj Ahmed Bey, d'origine kouloughlie (une communauté issue des brassages entre colons turcs/balkaniques et femmes indigènes)]. Celle-ci, forte de 3 à 4 000 hommes, déboucha tout à coup de la vallée, mais dut presque aussitôt rétrograder sous le feu de nos fantassins et de nos batteries. Une charge de deux escadrons de chasseurs d'Afrique, vigoureusement conduite par le commandant du Berne, acheva leur déroute.
Je causais de cette affaire avec le colonel Maumet, comme moi aide de camp du général Damrémont, lorsque nous vîmes une bombe de gros calibre tomber à une vingtaine de mètres de nous. Elle n'éclata pas, et se mit à rouler juste dans notre direction. Je sautai de côté, mais mon compagnon qui était assis vit qu'il n'avait pas le temps de se relever et s'étendit à terre de tout son long. La bombe allait l'atteindre, et je le voyais déjà coupé en deux, lorsqu'une petite pierre que nous n'avions pas même remarquée fit ricocher le projectile par-dessus le corps du colonel. J'aimais beaucoup ce dernier, car je le connaissais depuis de longues années, et je ne pus m'empêcher de sauter à son cou et de l'embrasser [Lamoricière aurait écrit dans une lettre : "En Afrique nous en étions tous"...]. (...)
Le 9, à sept heures du matin, toutes nos batteries ouvrirent le feu. Celles des assiégés répondirent d'abord avec vivacité, mais une grande partie de leurs pièces furent démontées et, vers une heure, l'artillerie ennemie fut définitivement réduite au silence. Le général Valée avait pensé que ce bombardement et les incendies provoqués par les obus amèneraient la destruction de la place, mais, comme dans le premier siège, l'effet du tir demeura à peu près insignifiant.
Le même jour, le général Damrémont alla visiter les travaux du front d'attaque. Un peu avant d'y arriver, il vit, sortant des trois portes de la ville, des bandes nombreuses se portant sur le Coudiat-Aty sans être aperçues des troupes qui le défendaient. Il me donna l'ordre d'aller en prévenir le commandant Bedeau. Celui-ci fit aussitôt prendre les armes à son bataillon, et le forma en colonne précédée d'une compagnie de voltigeurs en tirailleurs. Je lui fis remarquer qu'ayant été au siège l'année précédente, je connaissais le terrain dans tous ses détails. « Votre colonne, ajoutai-je, peut être dirigée de manière à prendre les assaillants en flanc, et à en rejeter une partie à gauche, dans des escarpements d'où il leur sera difficile de s'échapper. » Le commandant Bedeau, avec lequel j'étais lié depuis longtemps, voulut bien m'autoriser à me mettre à la tête de ses voltigeurs. Dès que ses troupes furent formées, elles se lancèrent en avant, culbutèrent l'ennemi, et le rejetèrent sur les escarpements ou dans la place qu'il ne put atteindre qu'avec de grandes pertes. Dans leur mouvement de retraite, trois Kabyles se jetèrent dans une des maisons du Coudiat-Aty. Je les vis, et voulus les faire prisonniers. Je courus à la porte ; la chambre n'avait pour autre issue qu'une fenêtre étroite et basse. Deux des Kabyles, me croyant soutenu par mes voltigeurs, essayèrent de s'échapper par là : ils y arrivèrent à grand'-peine, me fermèrent le passage à leur camarade. Celui-ci me mit en joue ; je me jetai de côté au moment où il fit feu, et la balle ne m'atteignit que légèrement au côté. En voulant tirer son yatagan, il se découvrit, et j'en profitai pour lui plonger mon sabre sous l'aisselle et le tuer raide.
L'affaire terminée, j'allai en rendre compte au général en chef et, de là, je gagnai l'ambulance pour me faire panser. En y arrivant, je demandai un docteur que je connaissais ; on m'indiqua la tente dans laquelle il était en train d'opérer. Au moment où j'y entrai, je reçus brusquement dans les jambes la cuisse d'un de mes amis, le capitaine Raindres, que l'on venait d'amputer !
Le général Valée assura que le lendemain matin la brèche serait praticable. Le commandant en chef voulut faire une dernière sommation aux assiégés. Elle était ainsi conçue :
« Mes canons sont au pied de vos murs qui vont être renversés et mes troupes entreront dans votre ville. Si vous voulez éviter de grands malheurs, soumettez-vous pendant qu'il en est temps encore. Je vous garantis, par serment, que vos femmes, vos enfants et vos biens seront respectés et que vous pourrez continuer à vivre paisiblement dans vos maisons. Envoyez des gens de bien pour me parler et convenir de toutes choses et ce que je promettrai, je le tiendrai avec exactitude. »
Un jeune soldat du bataillon turc se chargea de porter cette missive. Le drapeau parlementaire à la main, il arriva au pied des remparts, on lui jeta une corde et il fut ainsi hissé dans la citadelle.
Ce ne fut que le lendemain matin qu'il revint au quartier général, apportant cette réponse de Ben Aïssa [lieutenant indigène du bey] :
« Si les chrétiens manquent de poudre, nous leur en enverrons ; s'ils n'ont plus de biscuits, nous partagerons les nôtres avec eux ; mais tant qu'un de nous sera vivant, ils n'entreront pas dans Constantine. »
A cette lecture, le général Damrémont s'écria : « Voilà de braves gens ! Eh bien ! l'affaire n'en sera que plus glorieuse pour nous ! »
Le lendemain, 12 octobre, vers huit heures du matin, le général Damrémont se rendit sur le Coudiat-Aty pour reconnaître par lui-même l'état de la brèche. Il descendait dans cette direction lorsqu'un boulet de fort calibre vint frapper la terre à quelques mètres en avant de lui, ricocha et le traversa de part en part. Il tomba foudroyé. Me trouvant à ses côtés, je le couvris de son burnous.
Le général Perrégaux, son chef d'état-major et ami, se jeta sur lui en s'écriant : « Ah ! mon Dieu, mon général ! » Une balle vint le frapper entre les deux yeux et il mourut quelques jours après sur le bâtiment qui le transportait en France.
Le général Rulhières fut blessé au même moment.
Le corps du général Damrémont fut d'abord porté à l'ambulance, puis, le soir, conduit au marabout de Sidi-Mabrouck, sous l'escorte d'une compagnie du 2e léger.
Le général Valée, le plus ancien des lieutenants généraux, prit le commandement. Il fit continuer le tir d'artillerie et, vers six heures du soir, on vit s'écrouler une partie de la muraille. La brèche paraissant alors praticable, le général indiqua la composition des colonnes d'attaque, telle qu'elle avait été arrêtée par le général Damrémont. Les colonnes étaient au nombre de trois, commandées par les colonels Lamoricière, Combes et Corbin, et formées de détachements de toutes les troupes d'infanterie du corps expéditionnaire. Le 19 octobre 1837, à quatre heures du matin, le général Valée se rendit à la batterie chargée de faire la brèche, accompagné des officiers de l'état-major général et de ceux de l'état-major particulier du général Damrémont qui, tous, avaient demandé a être mis à sa disposition.
Il prescrivit, selon l'ancienne coutume, de donner une double ration d'eau-de-vie aux troupes et, avant d'ordonner l'assaut, demanda si tous les hommes avaient touché ce supplément. La distribution n'ayant pas encore été faite au bataillon d'Afrique, le commandant en chef pria qu'on le prévint aussitôt que cette distribution serait terminée. Mais, en entendant ces paroles, les zéphyrs s'écrièrent : « Non, non, pas d'eau-de-vie, l'assaut ! »
Le général en chef prescrivit alors au duc de Nemours de donner le signal et celui-ci, se tournant vers le colonel Lamoricière, lui dit : « Quand vous voudrez ! »
Une hache à la main, Lamoricière monta sur la tranchée en criant : « Zouaves, en avant ! Vive le Roi ! »
Tous se jetèrent sur la brèche, colonel en tête. A ses côtés marchait le commandait Vieux, du génie, le même qui, à Waterloo, avait placé le sac à poudre qui fit sauter la porte de la ferme de Hougoumont. Haut de six pieds, cet officier cherchait à devancer Lamoricière, mais celui-ci lui cria : « Si vous ne restez pas à ma hauteur, je vous casse la tête avec ma hache ! » Lamoricière, le commandant Vieux, le capitaine Gardereins et un officier portant l'uniforme blanc de l'armée autrichienne, M. Russel, arrivèrent les premiers au sommet de la brèche. Gardereins y planta le drapeau de la France.
Au milieu de tous ces débris de muraille, Lamoricière ne put trouver d'issue. Enfin, sur sa droite, le capitaine Sauzet finit par découvrir un passage. Il s'y précipita avec ses hommes et arriva dans une batterie couverte où les Turcs se défendirent avec l'énergie du désespoir [voir également le récit des faits par Saint-Arnaud]. Maître de cette batterie, Sauzet voulut continuer sa marche : il fut bientôt arrêté par le feu d'une grande maison crénelée à plusieurs étages. C'était la caserne des Janissaires, où les défenseurs luttèrent également avec fureur." (p. 95-103)
"Après la retraite des Ouled Sidi Cheik dans l'extrême-sud [1865], je me rendis à Paris [en tant que gouverneur général de l'Algérie], pour défendre, devant la commission de classement, les titres à l'avancement des officiers de l'armée d'Afrique. J'eus plusieurs entrevues avec l'Empereur [Napoléon III]. Il cherchait les moyens de nous attacher définitivement les Arabes. Parlant des événements graves susceptibles de survenir un jour en Orient [la dislocation de l'Empire ottoman], il envisageait les avantages, pour la France, de reconstituer une nationalité arabe, destinée dans son esprit à remplacer les Turcs.
— Il faudrait voir, Sire, lui répondis-je, si cette nouvelle organisation ne serait pas plus dangereuse pour nous que celle des Turcs.
Sans doute avait-il été guidé par cette idée lorsqu'il avait libéré Abd-el-Kader et l'avait envoyé à Beyrouth, avec des subsides considérables, cherchant à lui donner de l'influence sur les populations arabes de la région." (p. 302-303)
Louis Juchault de Lamoricière, De l'espèce chevaline en France. Rapport fait au Conseil supérieur des Haras sur les travaux de la session de 1850, Paris, Dusacq, 1850 :
"L'état
de décadence des peuples de la côte de Barbarie a sans doute été la
cause de la dégénérescence que l'on remarque presque partout dans leurs
races de chevaux. Ce n'est guère qu'à Tunis, et sur quelques points
reculés de l'empire du Maroc, que l'on trouve aujourd'hui des familles
dont la reproduction ait été assez soignée pour qu'on puisse réellement
les considérer comme de pur sang. Cette décadence est surtout
remarquable en Algérie ; là, deux causes ont, en outre, contribué à
l'aggraver : d'une part, la guerre et les migrations incessantes qui en
étaient la suite, amenaient dans l'espèce une effrayante destruction ; de l'autre, l'autorité française négligeait les pratiques suivies par les Turcs, pour encourager la reproduction, alors que la plupart des chefs de tribus ne pouvaient plus s'en occuper." (p. 136)
Louis Juchault de Lamoricière, "Lettre d'envoi du projet à M. le Gouverneur général de l'Algérie", in Projets de colonisation pour les provinces d'Oran et de Constantine, présentés par MM. les lieutenants généraux de La Moricière et Bedeau, Paris, Imprimerie royale, 1848 :
"Le grand triangle qui a sa base sur le bord de la mer d'Oran à Mostaganem, et son sommet à Mascara, se présentait naturellement comme le premier champ de cette colonisation. J'ai donc commencé par le faire étudier.
M. le lieutenant-colonel d'état-major de Martimprey a été chargé d'examiner en détail la répartition du sol entre les détenteurs indigènes actuels ; et leurs droits, soit à la propriété, soit à l'usufruit, afin de déduire de cette étude les moyens de faire place à la population européenne, en froissant le moins possible les intérêts de la population indigène.
M. le chef d'escadron d'état-major d'Illiers a été chargé d'examiner le terrain, afin de donner un premier aperçu des lieux qui, par la nature du sol et des eaux, par toutes les considérations agricoles, paraîtraient favorables à l'assiette des centres de population ; travaillant de concert avec M. de Martimprey, il a présenté une division approximative en communes, et l'indication des communications à ouvrir.
M. le capitaine d'artillerie Azema de Montgravier, attaché à la sous-direction des affaires arabes, officier versé dans les études archéologiques, a recherché les vestiges des établissements romains dans la province, afin d'établir une comparaison instructive entre ce qu'ils ont fait et ce que nous faisons et voulons faire.
A ces deux officiers étaient adjoints MM. Gelez, capitaine au 44e de ligne, officier studieux et intelligent, à qui était confié le soin de faire les relevés topographiques reconnus utiles ; Brahemscha, interprète principal, accompagné d'indicateurs arabes, vieux serviteurs des Turcs, bien instruits de toutes les questions de propriété." (p. 10-11)
Arthur Patas d'Illiers, "Mémoire sur la manière dont il convient de partager entre les concessionnaires les terres dont l'Etat a acquis la libre disposition" (faisant partie du projet de Lamoricière), in Projets de colonisation pour les provinces d'Oran et de Constantine..., op. cit. :
"VILLAGE D'ASSI-MOUSSA-TOUÏL.
Les puits dits Assi-Moussa-Touïl sont situés dans la plaine du Tlélat, sur une des routes de traverse d'Oran à Saint-Dénis-du-Sig, et au pied des collines qui s'étendent de l'ouest à l'est depuis la pointe orientale de la Sebgha jusque chez les Beteouas. Ces puits, assez nombreux autrefois, se sont comblés faute d'entretien, de telle sorte qu'il n'en reste plus aujourd'hui qu'un seul qui soit en service, et encore est-il en si mauvais état et rempli de tant de saletés, qu'il est difficile d'y puiser et que l'eau en est détestable. Il y a deux ans à peine que nous-même y avons trouvé des eaux potables et abondantes. Il suffirait donc de refaire avec soin tous ces puits, d'une profondeur d'environ 5 à 6 mètres, pour qu'il fût possible d'établir sur ce point un centre de population chrétienne. Ce village devrait et pourrait être considérable (150 familles au moins), car Assi-Moussa-Touïl est dans un des pays les plus fertiles, où tout est défriché et en parfait état de culture, dans une position salubre et à bonne distance d'Oran. Presque toutes les terres sont susceptibles d'être immergées par les eaux du Tlélat, au moyen de barrages et de canaux d'irrigation que les Turcs entretenaient avec le plus grand soin, et que les Arabes refont encore tous les ans. Cette plaine est si horizontale, que les eaux de la rivière peuvent, presque sans travail, être conduites dans toutes les directions ; toutefois, nous ne devons pas omettre de dire que, dans certaines années, les eaux du Tlélat disparaissent avant d'arriver jusqu'à cette partie de la plaine." (p. 115-116)
"TERRITOIRE CIVIL DE MOSTAGANEM.
140 familles. — 2,800 hectares.
Les environs de Mostaganem, la partie surtout connue sous le nom de vallée des Jardins, étaient, sous les beys, couverts d'une quantité considérable de maisons isolées (12 ou 1,500 peut-être) qu'habitaient des Turcs, des Coulouglis [Kouloughlis] et des Hadars [musulmans partiellement d'origine andalouse]. Ces habitations, abandonnées successivement depuis 1830, sont toutes aujourd'hui en ruines, sans que personne (Européens ou indigènes) se soit encore occupé ni de les restaurer ni même de cultiver les terres qui en dépendaient. Et cependant, nulle part en Afrique, nous n'avons de position aussi favorable à la petite culture. Quantité d'arbres de toute espèce, des figuiers principalement, sont encore debout, et n'attendent qu'une main laborieuse et intelligente pour se couvrir de fruits. Enfin, l'eau ne manque pas, bien qu'il n'y ait ni sources ni ruisseaux. Chaque habitation avait des puits de 5 à 6 mètres de profondeur, donnant des eaux de bonne qualité. Il faut se hâter de repeupler cette vallée aujourd'hui déserte ; mais, pour que les colons qui iront s'y fixer isolément y soient suffisamment à l'abri, nous proposons de les entourer par quelques gros centres de population derrière lesquels les Européens pourraient se placer comme l'étaient autrefois les indigènes : les uns isolément, les autres réunis par groupes ou hameaux de 10 à 20 familles." (p. 123-124)
"COMMUNE DES JARDINS.
250 familles. — 4,000 hectares.
Nous avons dit qu'il serait bon de créer tout autour de Mostaganem plusieurs gros centres de population. Nous avons proposé, en conséquence, d'établir des villages à Assi-Tounin, Maséra, Assi-Mamache et la Stidia, les seuls points où il y ait, quant à présent, des eaux assez abondantes pour suffire à tous les besoins des populations qui iront se grouper près d'elles. (...)
Nous ne connaissons pas d'endroit à indiquer plus particulièrement qu'un autre pour l'emplacement de ce centre de population. Il y avait autrefois des puits dans chacune des maisons qu'habitaient les Turcs et les Coulouglis dans la vallée des Jardins ; on en trouvera certainement partout où l'on creusera et en assez grande quantité, en proportionnant le nombre des puits au chiffre des habitants, pour qu'on puisse n'avoir aucune crainte à cet égard." (p. 128-129)
Edmond-Charles de Martimprey, "Mémoire sur l'état de la propriété territoriale dans les tribus" (faisant partie du projet de Lamoricière), in Projets de colonisation pour les provinces d'Oran et de Constantine..., op. cit. :
"Autour
d'Oran, les Turcs s'étaient réservé près d'eux des espaces où campaient
des douars isolés ou appartenant à des tribus ayant certaines
attributions dans la constitution du gouvernement du bey : c'étaient,
par exemple, les courriers, les gardiens de troupeaux, ceux qui étaient
chargés de soigner les bêtes de somme du beylik, de les conduire dans
les expéditions, etc. La chute des Turcs, les événements qui ont
succédé, détruisirent cette organisation, et la terre resta libre :
c'est ainsi que nous avons trouvé la vacance des emplacements de
Sidi-Chaami, de Sidi-Marouf. Le bassin de Mers-el-Kébir, aujourd'hui
contesté, dépendait du beylik, à titre d'apanage des officiers de la
milice turque qui résidaient à Mers-el-Kébir. Ailleurs, comme dans la
plaine d'Andalouse, comme au Figuier et à Miserghin, c'étaient des
terres réservées par l'Etat pour des cultures et qui nous sont revenues.
Les espaces intermédiaires étaient remplis, 1° par des propriétés
collectives, telles que la terre des Zmélas, qui s'étend le long du lac,
entre Miserghin, le Figuier et la Sénia, dont le territoire résulte
même d'une acquisition faite sur la terre des Zmélas ; 2° par des
propriétés particulières. Mais nulle part n'existait la tribu
constituée, ayant ses droits d'habitation, d'usufruit ou autres, tels
qu'ils existent partout ailleurs et tels que nous les avons reconnus
chaque fois que nous avons accepté une soumission, sans faire de
restriction sur ce qu'avait consacré le régime turc, que nous invoquions
d'ailleurs comme base de départ pour un ordre régulier." (p. 41-42)
"ZONE PROPOSEE
POUR ETRE COLONISEE AUTOUR DE MOSTAGANEM.
Autour de Mostaganem et de Mazagran, les terres sont Melk et Beylik. Ces
deux villes eurent autrefois une banlieue très-habitée : la guerre l'a
dépeuplée ; le départ des Turcs, les extinctions et de nombreuses
émigrations ont laissé au domaine de l'Etat beaucoup d'héritages, qui
tous encore n'ont pas été recueillis. Sur ces points, la population
indigène ne peut pas être considérée comme vivant à l'état de tribu. Il
n'y aura ni déplacements ni désintéressements collectifs à régler. A
ce titre, la principale opération est déjà faite : c'était l'évacuation
de l'enceinte de Mazagran par les indigènes. Elle date de 1845, elle a
eu pour but la formation d'un centre européen. A Mazagran, les anciens
habitants sont réunis aujourd'hui dans le village arabe de Tigdid ; il
compte 100 familles ; un autre, celui de Rezezgua, a été formé au
sud-est des jardins, près la route de Mostaganem à Ennaro. Ils
subsisteront tous deux sans inconvénient au milieu de la colonisation.
Les
Deradel, qui comptent en tout 72 familles, habitaient la partie sud du
territoire de Mostaganem. Ils n'avaient aucun droit de propriété et
devaient être considérés comme Sabega. Récemment ils ont acquis
régulièrement d'un Turc un territoire d'environ 700 hectares. Ils
peuvent rester dans la position que leur assigne ce Melk." (p. 73-74)
Edmond-Charles de Martimprey, Souvenirs d'un officier d'état-major. Histoire de l'établissement de la domination française dans la province d'Oran, 1830-1847, Paris, Quantin, 1886 :
"Le 24 avril 1833, le général Desmichels succède au général Boyer, tandis que, le mois suivant, le lieutenant-général Voirol remplace dans le gouvernement général le duc de Rovigo.
Cependant, les forces de la garnison d'Oran avaient été augmentées et le 2e chasseurs d'Afrique se constituait peu à peu en hommes et en chevaux, avec un escadron turc." (p. 5)
"La paix, qui se conclut le 26 février [1834] entre le général Desmichels et Abd-el-Kader, mit un terme à ces combats et un ancien mameluck, le commandant Abd-Allali d'Asbonne, fut envoyé à Mascara en qualité de consul, tandis qu'un consul d'Abd-el-Kader vint à Oran. Il se nommait Ben-Ickro.
Ainsi se trouva consacrée la reconnaissance, par la France elle-même, de ce nouveau et puissant maître, que les Arabes de la partie centrale de la Province d'Oran s'étaient donné récemment dans le fils du marabout May-el-Din et qu'ils avaient proclamé sultan dans la plaine d'Eghris, sous Mascara, le 22 novembre 1832.
Cet avènement mérite qu'on en examine les circonstances.
On a vu comment, après la prise d'Alger, le bey d'Oran [Hassan Bey] avait dû d'abord s'enfermer dans Oran, puis y capituler [en 1831] : l'intérieur de la province se trouva alors livré à une terrible anarchie.
Deux partis s'y disputaient l'héritage des Turcs. Vieilli dans les coutumes du Maghzen, fier de sa noblesse, l'agha Mustapha-ben-Ismaël représentait le premier parti et s'appuyait sur les tribus puissantes des plaines de Melata, du Sig, de l'Habra, de la basse Mina et du bas Chélif. L'autre avait eu d'abord à sa tête May-el-Din et les marabouts dont les prédications ardentes avaient développé chez les tribus rayas, longtemps pressurées et opprimées, une grande exaltation religieuse et la volonté de s'affranchir.
Abd-el-Kader fut désigné pour chef à ce dernier parti par son père, qui, dans cette occasion, fit parler d'anciennes prophéties. (...)
Une grande lutte entre les partisans du Maghzen et ceux du pouvoir théocratique [d'Abd el-Kader] était inévitable ; il ne l'ajourna que pour venir combattre le chrétien, sous les murs d'Oran, puis, tout à coup, il l'engagea avec fureur. Après plusieurs alternatives de succès et de revers, l'agha Mustapha eut le dessous et prit le parti d'aller s'enfermer dans le Méchouar de Tlemcen, seul point avec Mostaganem, où les Turcs et les Colouglis se fussent maintenus grâce à leurs murailles. Partout ailleurs ils avaient été exterminés [par des indigènes : encore en 1838, Abd el-Kader fit massacrer la petite tribu kouloughlie des Ben Zetoun (dans l'arrière-pays d'Alger)].
Quant aux Douairs et aux Smélas, ils étaient parvenus à regagner leur territoire.
Conclue le 26 février 1834 et dans ces conjonctures, la paix Desmichels favorisa la suite des projets d'Abd-el-Kader, en assurant sa puissance dont le renversement nécessita depuis tant d'efforts. N'eût-il pas été plus avantageux, dès cette époque, de chercher à rallier le Maghzen à nos intérêts ? Etait-ce possible ?
La question est délicate à trancher.
Ce qu'on peut affirmer, c'est qu'il y avait chez nous alors une ignorance, d'ailleurs bien concevable, du pays, de sa constitution et de ses hommes et que nous offrions toutes les conditions possibles d'être joués par le nouvel émir. En un mot, la paix Desmichels, conséquence des plus décevantes illusions, fut une énorme faute ; l'expérience ne tarda pas à le démontrer." (p. 6-8)
"Je fus très souffrant à Mostaganem [durant l'hiver 1835-1836] ; je me remis, en m'appliquant autour du corps, sous mes habits, une ceinture turque que je n'ai pas quittée en campagne depuis. J'attribue à cette précaution, que je recommande aux jeunes, ma bonne santé pendant de si longues et rudes années de guerre. (...)
Comme à Mascara, nous conduisions à Tlemcen du canon de campagne et des transports roulants, c'est-à-dire ce qui peut embarrasser le plus dans un pays sans routes.
Nous arrivâmes sans combat à Tlemcen. Mustapha-ben-Ismaël fêta notre venue par des salves d'artillerie et sortit du Méchouar au-devant du maréchal [Bertrand Clauzel]. L'armée put se loger dans cette grande ville, qui portait partout les traces d'anciennes et de récentes hostilités et se trouvait presque déserte, les habitants ayant tous fui à l'exception des Colouglis.
Nous trouvâmes dans les maisons un petit approvisionnement en grains et des petits moulins arabes ; d'ailleurs, les moulins à eau des environs, non plus que les fours, ne firent défaut. L'administration fut assez promptement en mesure de distribuer du pain, et, grâce à une razzia du général Perrégaux dans les gorges d'Ibdar, nous fûmes aussi munis de ressources suffisantes en viande. Les jardins et les démolitions fournissaient du bois de chauffage, car l'hiver de Tlemcen est celui du nord de la France : il y neige fréquemment.
Tlemcen est à trente-deux lieues d'Oran et à dix seulement de la mer, prise à la basse Tafna. Vis-à-vis de l'embouchure de cette rivière s'élève, à une demi-lieue en mer, la petite île volcanique de Raschgoun ; des approvisionnements y avaient été envoyés d'Oran, plusieurs navires étaient mouillés sous file.
Avant de partir d'Oran, le maréchal avait fait entrer dans ses projets d'aller de Tlemcen se ravitailler à Raschgoun et d'ouvrir une route qui, une fois Tlemcen occupé pour dominer l'ouest de la province, mettrait cette place en communication avec la mer.
En effet, le 24 janvier, le maréchal quitta Tlemcen avec 4,000 hommes, emmenant tous ses malades sur des prolonges et, le 25, il vint camper au confluent de l'Isser et de la Tafna.
Ce jour-là, l'ennemi commença à se montrer très nombreux ; on combattit chaudement toute la journée du 26, le 11e de ligne couvrant l'ambulance, le convoi et la réserve d'artillerie.
Mon régiment soutint les principaux efforts de l'ennemi, qui traversa ses lignes un instant.
Le lendemain, l'affaire recommença, et le maréchal dut reconnaître l'impossibilité de franchir, sans de grosses pertes tout au moins, la contrée accidentée qui nous séparait de l'embouchure de la Tafna. Nos voitures rendaient cette tentative encore plus périlleuse.
De gros contingents kabyles et marocains arrivaient à chaque instant et, bien que la veille nos armes eussent été heureuses, nous n'avions pas découragé nos nombreux adversaires.
Nous étions donc dans un véritable embarras, obligés de renouveler des retours offensifs pour nous dégager et, en somme, dans une situation presque critique, lorsque, tout à coup, la canonnade retentit sur notre gauche. C'était le général Perrégaux qui, entendant de Tlemcen le bruit de cette lutte prolongée, accourait au feu. Son arrivée comme diversion fut du plus heureux effet.
Notre retour sur Tlemcen s'accomplit alors sans difficulté ; les Arabes cependant firent retentir l'air de décharges de mousqueterie, ce qui indiquait qu'ils se regardaient comme victorieux.
Bientôt, le maréchal se prépara à ramener l'armée à Oran, en laissant toutefois une garnison dans le Méchouar.
Tlemcen comptait 5,000 à 6,000 de ces Turcs et Colouglis, qui, précédemment, avec Mustapha-ben-Ismaël, avaient résisté aux efforts d'Abd-el-Kader jusqu'à notre arrivée. Notre secours leur coûta assez cher : ils durent payer à la France une contribution de guerre, dont la perception entraîna de regrettables rigueurs.
La garnison laissée dans le Méchouar se composa de 600 volontaires, sous les ordres du capitaine du génie Cavaignac [Eugène Cavaignac]. Avec une force aussi peu considérable, il allait établir sur la ville, dont la population était mal disposée pour nous [en raison de la contribution imposée par Clauzel : elle avait été fixée à 500.000 francs, puis réduite à 150.000 francs (à la suite des protestations), Clauzel dut lui-même en suspendre la perception (94.000 francs ont été prélevés)], une autorité juste et ferme, en même temps qu'il ferait respecter ses dehors à distance ; bel épisode de la vie d'un homme, chez lequel l'élévation de l'âme dominait toutes les qualités d'une organisation d'élite." (p. 20-23)
"Plus qu'à Alger, nous eûmes à Oran le temps de nous mettre sur la défensive [en 1839]. Elle se renfermait d'ailleurs dans l'enceinte de la ville, avec Mers-el-Kébir pour port, le Figuier et Misserghin pour avant-postes. Nous avions en outre à garder Arzew et son mouillage et Mostaganem, qu'éclairait un détachement établi dans Mazagran.
Les Douairs et les Smélas vinrent dresser leurs tentes sous les murs d'Oran et jusque dans les fossés ; nous eûmes parmi eux des déserteurs assez nombreux.
Je fus envoyé à Sidi-Bou-Tlélis, près de Bridia, pour faire un exemple, en vidant les silos de blé et d'orge d'une fraction qui venait de faire défection. Cette opération dura trois jours. Tous les transports du train y furent employés ; je disposais, pour l'assurer, d'un escadron et d'un bataillon. En raison de sa durée, c'était trop peu et je fus très heureux de n'être pas attaqué, ce que je dus au soin de faire arrêter des rôdeurs qui me servirent d'otages.
Depuis 1837, c'était la première fois que des troupes s'éloignaient autant d'Oran. Les attaques de l'ennemi, qui se succédèrent depuis cette course, vinrent nous trouver sous le canon de nos places.
La plus sérieuse affaire eut lieu d'abord devant Mostaganem. La garnison avait voulu se porter au secours de Mazagran, vivement attaqué. Elle fut refoulée, avec des pertes considérables, jusque sur les glacis. Une compagnie composée de Turcs et de Colouglis fut même cernée et détruite dans un jardin clos de murs, entre Mostaganem et Mazagran.
Ce dernier poste, véritable bicoque, courut le plus grand risque d'être enlevé. Chaque homme n'avait plus que trois cartouches, quand l'ennemi s'éloigna. Le nombre des défenseurs ne dépassait pas 80 hommes : ils étaient sans vivres, ceux-ci n'étant entretenus que par des distributions journalières expédiées de Mostaganem. Mazagran avait une population indigène qui se réfugia à Mostaganem, après cet événement." (p. 67-68)
"Avant de regagner Alger, le gouverneur général [Bugeaud] passa quelques jours à Mostaganem [à l'été 1841], où le bruit courait que les Medgeers allaient se décider à la soumission. Le général Tempoure reçut le commandement de la place, pourvue d'une garnison considérable, et le capitaine d'artillerie Walsin Esterhazy lui fut donné pour ses relations avec les indigènes.
Le capitaine Walsin s'était beaucoup occupé des affaires du pays ; il parlait et lisait l'arabe et avait publié en 1837 un ouvrage remarquable sur la constitution du gouvernement des Turcs dans la province d'Oran. Cet ouvrage eut une importance considérable au milieu de l'ignorance où l'on était, à cette époque, de l'histoire de la domination antérieure, dont il y avait cependant à tirer des enseignements utiles pour fonder la nôtre." (p. 109-110)
"Trois jours après, je pris, avec le commandant Foltz, le chemin d'Oran par les Beni-Chougran, l'Habra et le Sig [en juillet 1843]. Le pays était abandonné, nos guides hésitaient ; il fallut les menacer du pistolet pour les faire marcher.
Au Sig, je trouvai un détachement de 150 cavaliers du maghzen d'Oran, qui devaient aller à Mascara et n'osaient le faire. J'en profitai comme escorte et pour montrer au commandant Foltz les ruines d'un barrage turc, qui permettait de déverser les eaux du Sig sur ses deux rives. Cette visite eut une réelle influence sur la reconstruction de ce magnifique et utile ouvrage.
A son retour à Paris, le commandant Foltz en entretint le maréchal Soult [Jean-de-Dieu Soult (père de Napoléon-Hector Soult de Dalmatie)], alors ministre de la guerre, qui accorda des fonds pour les premières études." (p. 173)
Thomas Robert Bugeaud, L'Algérie. Des moyens de conserver et d'utiliser cette conquête, Paris, Dentu, 1842 :
"Forces auxiliaires.
Ce qui peut augmenter nos moyens d'action, c'est une bonne composition du Maghzen. Ce mot signifie : le choix des cavaliers de certaines tribus spécialement chargées de la rentrée des impôts : le Maghzen accompagne à la guerre le gouverneur et ses lieutenants, et veille à l'exécution de tous leurs ordres. Il faudra, de préférence, charger de ce rôle les tribus qui en étaient investies sous les Turcs ; car elles sont, en général, les plus belliqueuses et les plus fidèles ; on leur conservera une grande partie des privilèges dont elles jouissaient, et, en remplacement de ceux qu'on serait forcé de leur enlever, on allouera à chaque cavalier une solde mensuelle de 15 francs, en exigeant qu'il soit toujours bien monté et bien armé." (p. 30)
Thomas Robert Bugeaud, Quelques réflexions sur trois questions fondamentales de notre établissement en Algérie, Alger, A. Besancenez, 1846 :
"D'ailleurs, continuant à agir comme nous l'avons fait jusqu'ici en ne gênant pas les Arabes dans leurs croyances, nous établirions purement et simplement notre action dominatrice qui ne serait pas en contact avec eux. Les intermédiaires seraient les margzen, êtres de raison pour ainsi dire entre les deux. Les Arabes ne sentiraient notre puissance que lorsqu'il s'agirait de réparer une injustice, ou de les châtier s'ils tentaient la moindre révolte. Pour l'un comme pour l'autre cas ils nous redoutent, et croient plus à notre force qu'à celle des Turcs, et nous le leur avons montré, même avec notre organisation de la perception de l'impôt ; car il est telle tribu en Afrique où les Turcs ne pénétrèrent jamais et sur laquelle ils n'exerçaient qu'un acte de suzeraineté, qui se traduisait en une barrique d'huile ou quelques mesures de blé, et que nous avons forcée à acquitter l'impôt ordinaire.
L'objection de la religion me paraît donc détruite par toutes les observations que je viens de faire.
Reste maintenant le dernier obstacle : le régime à la Turque ne convient ni à notre civilisation, ni à nos moeurs, ni à nos idées. Nous ne voulons, a-t-on dit, ni vivre ni finir comme les Turcs.
Certes, il est bien loin de ma pensée de faire l'apologie du gouvernement Turc ; mais un fait immense prédomine tout ceci. Les Turcs ont régné paisiblement sur l'Algérie pendant trois siècles. Ce fait mérite qu'on s'y arrête et qu'on y réfléchisse et pour ma part je croirais être bon Français de souhaiter la possession paisible de l'Afrique à mon pays pendant le même laps de temps.
Il ne faudrait pas non plus que cette question de philanthropie, si souvent invoquée et qui a eu déjà de déplorables résultats en Algérie, il ne faudrait pas que cette question vint mettre des entraves à notre domination ; il faut en tout point être conséquent avec soi-même. Or, je ne connais rien de moins philanthropique que la guerre ; de plus injuste que la conquête, surtout celle de l'Afrique qui au point de vue de la philanthropie est exorbitante, bien qu'au point de vue de l'honneur national elle soit digne et grande, au point de vue de la politique elle soit immense. D'ailleurs si l'on y réfléchit et si l'on veut bien calculer, la justice turque avec ses formes acerbes et expéditives, mais avec ses rouages simples et positifs, a fait périr moins de monde que notre justice, tout indulgente qu'elle est, que nos guerres et nos razzias qui se renouvellent tous les jours.
Il est une chose qu'on ne peut contester, c'est le bienfait de l'expérience. Or quelle a été la conduite des Turcs lorsqu'ils ont conquis l'Afrique ? Je l'ai dit, ils se sont facilement aperçus qu'ils ne parviendraient à soumettre ces populations guerrières qu'en les divisant, et ils les ont divisées en créant les privilèges des tribus margzen, et la domination a duré trois siècles sans changer de système.
L'Arabe de nos jours est le même que l'Arabe de ces temps là. Il n'a pas fait un pas dans la civilisation, il n'a quitté ni la tente, ni les déserts, ni son coursier. De plus nous avons l'esprit du fanatisme si habilement exploité par Abd-el-Kader et ses adeptes qu'on tourne sans cesse contre nous. Dans cette situation, et quand il fallait peut-être prendre des moyens plus énergiques que les Turcs, nous en avons pris de plus doux. Ne vaut-il pas mieux, puisque tout est préparé pour cela, rétablir ce système des margzen que l'expérience nous a démontré le meilleur, en y apportant toutes les modifications que nous dictera notre justice et notre humanité ?" (p. 48-51)
"Qui a fait la réforme dans l'Inde, en Perse, en Turquie, en Egypte et dans la régence de Tunis ? Ce sont des Européens laïques, hommes d'armes en majorité. Et quelles sont les tendances de ces divers pays, sinon d'arriver par une constitution, déjà puissante en Turquie et en Egypte, à entrer dans la famille des Etats.
Là,
effectivement, les moeurs se sont déjà singulièrement modifiées. En
Turquie, la peine du cordon est abolie, et les exécutions capitales sont
extrêmement rares ; plus de cent mille Chrétiens, Grecs, Arméniens catholiques, vivent au centre de Constantinople, et le même fait remarquable se reproduit dans un grand nombre de villes de la Syrie et de l'Egypte. Cependant ces populations, désignées sous le nom de rayas, y jouissent d'une grande liberté et de droits parfaitement respectés partout où l'autorité a de l'action. Là, enfin, une foule d'Européens de tous les états et de toutes les conditions sont employés par les gouvernements et honorés par les Musulmans.
Ces heureux résultats augmentent journellement par suite des bonnes dispositions des souverains, et par l'effet d'un sentiment instinctif, qui porte les Musulmans à croire que le temps de leur triomphe est passé ; que désormais la Croix l'emporte et qu'il n'est plus pour eux d'autre force à mettre en action que celle donnée par l'union et le savoir." (p. 22-23)
Marie-Alphonse Bedeau, "Rapport au Gouverneur général de l'Algérie", in Projets
de colonisation pour les provinces d'Oran et de Constantine..., op. cit. :
"J'ai dit que la province de Constantine se trouvait dans une situation particulière, en raison de la différence des races indigènes qui l'habitent, en raison aussi de la différence des moyens employés pour y faire accepter notre domination.
Il n'est pas inutile peut-être de rappeler sommairement ces distinctions.
Nous savons tous que, dans les provinces de l'ouest, le pouvoir turc, détruit dès 1830 par l'occupation d'Alger et d'Oran, n'a point été remplacé dans l'intérieur du pays par l'autorité française. L'anarchie s'est établie partout dans le cours des quatre premières années ; et c'est alors qu'un chef religieux et politique [Abd el-Kader] s'est produit pour constituer, à l'aide du fanatisme et de l'esprit de nationalité, un pouvoir devenu nécessaire. Ce pouvoir s'est organisé successivement avec d'autant plus de facilité que nous étions impuissants pour le combattre, qu'il feignait de nous être allié, et qu'en mettant un terme aux principaux désordres de la société arabe, il se rendait assez maître de l'opinion pour détruire les influences qui lui étaient rivales, pour attirer à lui la plupart des chefs qui pouvaient aider son action. Le pouvoir, en s'adressant à l'élément arabe, qui existe seul dans les plaines de l'ouest, a détruit les privilèges oppresseurs de l'autorité turque ; il a trouvé dans ce fait, qui profitait au plus grand nombre, une nouvelle cause d'influence et de sympathie ; il a ménagé les races kabyles de la montagne, sachant bien que, pour se les rendre profitables, il ne fallait pas menacer leur indépendance héréditaire. C'est à son titre de marabout qu'il a demandé la puissance à leur égard, se fiant sur l'excitation religieuse pour les entraîner contre nous.
Quand le Gouvernement français s'est, plus tard, décidé à la conquête, il a donc rencontré une unité de résistance d'autant plus active que les erreurs de nos premières années devaient faire mettre en doute notre puissance. La guerre a été longue et difficile ; elle a été faite partout, parce que l'ennemi existait partout. Elle a forcément semé bien des haines, causé bien des dommages, porté atteinte à un grand nombre d'intérêts, ajouté enfin aux causes de répulsion qui nous séparaient tout d'abord de la population indigène." (p. 190-191)
Pierre-Napoléon Bonaparte, Un mois en Afrique, Paris, Pagnerre, 1850 :
"Les habitants du groupe d'oasis qu'on appelle le Zab-Dahri, et dans lequel est situé Zaatcha, ne vivaient, il y a peu de temps encore, que de la culture du palmier, qui suffisait à leur nourriture et aux échanges. Menacés sans cesse par les nomades, qui les pillaient et les rendaient tributaires, leur sort était exceptionnellement malheureux. En 1845, sous le commandement de M. de Saint-Germain, ils commencèrent à jouir d'une administration régulière et uniforme. Grâce aux encouragements de cet officier supérieur, ils produisirent d'abondantes céréales, et l'on peut dire que, quatre ans après, la misère avait complètement disparu de leur territoire. Le but de M. de Saint-Germain, qui voulait gouverner directement le pays, était de soustraire le Sahara à la dépendance du Tell, dont il tire ses grains. Louable en lui-même, sous le rapport de la civilisation, au point de vue politique ce plan ne pouvait produire que de fâcheux résultats chez un peuple qui nous sera encore longtemps et peut-être toujours hostile.
Les Turcs connaissaient les Arabes au moins aussi bien que nous, et certes ils se seraient gardés de rendre le désert indépendant du Tell. La nécessité où sont les tribus sahariennes de venir, tous les ans, s'approvisionner dans la région des céréales, est la meilleure garantie de leur obéissance. Si elles nous mécontentent, leur compte est bientôt réglé, et en cas de rébellion armée, nous pouvons leur fermer complètement le Tell, et les obliger à recourir à des intermédiaires, ce qui décuple pour eux le prix des denrées. Ce n'est d'ailleurs que dans le Tell que ces tribus peuvent rencontrer, pour leurs dromadaires et leurs moutons, des pâturages d'été, saison où le manque absolu d'eau serait mortel aux troupeaux dans le désert. Cette dépendance du Sahara envers la région des céréales est un fait tellement important qu'aucune intrigue ou sédition de la part des nomades ne peut nous préoccuper longtemps, placés qu'ils sont sans cesse sous l'inévitable coup d'une répression pécuniaire, et même plus terrible, au besoin. Quatre passages à travers une chaîne de montagnes qui court parallèlement à la mer, conduisent du désert au Tell ; à l'est, celui de Kinchila ; à l'ouest, celui de Soubila ; ceux de Megaous et de Batna, au centre. Les deux premiers sont en dehors de la direction que suivent les tribus. Batna est fortement occupé par nous quant, à Megaous, notre caïd des Ouled-Sultan y est établi et peut en défendre l'accès à tout venant qui se serait attiré notre colère. Tout cela prouve encore une fois que nous pouvons gouverner de loin les Arabes du Désert et abandonner cette administration directe qui les avait enrichis, mais qui nous a créé des obstacles tellement graves qu'il nous a fallu, pour les surmonter, tout l'héroïsme de nos troupes. Voyons comment ils avaient surgi.
La base de la gestion de M. de Saint-Germain, c'était l'égalité devant l'impôt, et il n'avait voulu tenir aucun compte des privilèges des marabouts, dans un pays pourtant où cette caste est aussi nombreuse qu'influente. Il n'en fallait pas davantage pour nous faire des ennemis irréconciliables de gens qui n'auraient pas mieux demandé que de nous servir, si, comme les Turcs l'avaient fait avant nous, nous eussions ménagé leur suprématie. En 1848, la contribution des palmiers qui n'avait été, dans l'origine, que de 15 à 20 centimes le pied, fut tout à coup portée, sans transition, à 80, soit que ces précieux végétaux rapportassent leurs dattes ou qu'ils n'en eussent pas. Une mesure financière aussi vexatoire était justifiée jusqu'à un certain point par la nécessité où l'on était de fournir aux frais de fortifications de Biscara, frais que le gouvernement central n'avait pas voulu couvrir ; et en effet 120,000 francs, produit du nouvel impôt, furent affectés à la construction de la casbah de cette oasis. Quoi qu'il en soit, un prétexte d'insurrection était trouvé pour les marabouts que nous nous étions maladroitement aliénés. Tous affiliés à la secte religieuse dite des frères de Sidi-Ab-er-Rahmann, qui a de nombreuses ramifications dans les Ziban, ils fomentèrent sourdement la révolte, à laquelle il ne manqua désormais qu'un fait déterminant.
L'administration directe de nos autorités militaires, et le nivellement de l'impôt au préjudice des anciennes prérogatives des marabouts et des familles nobles, voilà donc les causes principales de la dernière guerre. Deux autres motifs, bien que secondaires, méritent d'être mentionnés. D'une part, nos malheureuses discordes civiles avaient porté leur fruit jusqu'au fond de la province de Constantine de nombreux naturels des oasis, connus sous le nom de Biskris, établis à Alger, où la plupart font le métier d'hommes de peine, ne cessaient de mander aux leurs, depuis la Révolution de Février, que chaque jour nos régiments rentraient en France, que nous allions quitter l'Afrique, que nous nous battions entre nous, et mille choses semblables.
D'autre part, une des conséquences de notre administration directe était d'annihiler complètement l'autorité du scheick El-Arab, qui avait été jusqu'alors un sûr moyen de domination dans le désert. Deux familles s'étaient trouvées, tour à tour, en possession de cette dignité, espèce de grand vasselage, les Ben-Gannah et les Ben-Saïd. Les Turcs, suivant les exigences de leur politique, les avaient alternativement élevées, et il faut le dire, de leur temps le scheick El-Arab était réellement le suzerain du Sahara, percevait les contributions, payait au bey de Constantine la redevance exigée, administrait comme il l'entendait, et garantissait ainsi de tout embarras le gouvernement suprême. En 1837, après la prise de Constantine, les Ben-Saïd, dont le chef a été tué à notre service, étaient en fonctions. En 1844, M. le duc d'Aumale leur substitua les Ben-Gannah qui y sont encore ; mais le titulaire actuel, que je connais, et qui est décoré de la Légion d'honneur, a vu son autorité tellement amoindrie que, pour ne citer qu'un exemple, il n'a pu, lors de la dernière campagne et bien qu'il fut dans notre camp, procurer au général Herbillon un seul espion à qui accorder créance. Cependant, la part d'impôt, que ce scheick prélève annuellement à son bénéfice, est de plus de 100,000 francs." (p. 20-23)
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