"Ni kémaliste ni islamiste, mais démocrate. Ainsi aurait pu s'intituler le dernier ouvrage de l'historien Vincent Duclert, qui démontre l'existence d'une communauté de destin entre l'Europe et les intellectuels turcs. Ce livre se démarque des publications sur l'entrée de la Turquie dans l'UE par son honnêteté et son sang-froid. Il invite les turcophiles à associer vérité historique, citoyenneté et démocratie dans leur jugement. Il pousse les turcophobes à dépassionner leur raisonnement et à tourner le dos aux discours anxiogènes dès lors qu'il s'agit d'examiner la candidature du plus grand Etat musulman en Europe.
L'objectif n'est pas d'endosser le discours de l'un des camps mais d'aborder le problème à l'intérieur de la Turquie. Il suggère un dépassement du clivage kémalisme-islamisme au profit du credo démocratique d'une partie de la société qui ne se reconnaît ni dans l'Etat nationaliste ni dans l'Etat fondamentaliste. (...)
Au contraire, leur généalogie remonte à la période
des sultans éclairés du XIXe siècle, puis à celle de la révolution de 1908 avec
le prince Sabbahadin [leader de l'Entente libérale], avant de s'incarner autour d'héritiers de renommée mondiale, comme
Nazim Hikmet ou
Yasar Kemal." (
Gaïdz Minassian, "En quête de la Turquie démocratique",
Le Monde, 10 juin 2010)
Putschisme (sous un régime constitutionnel) et autoritarisme :
"La « révolution jeune-turque » avait été accomplie depuis neuf mois par les officiers du 3e corps d'armée et les soldats de la garnison d'Istanbul
allaient tenter de prendre leur revanche par une « contre-révolution ».
Une opposition libérale ou religieuse, composée d'
ulemas de rangs inférieurs, d'étudiants des
medrese [
softa] et de
Şeyh de confréries s'était formée contre le Comité. (...)
Le soulèvement avait très nettement le caractère d'une réaction tant militaire que religieuse. (...)
Une mutinerie se déclencha dans le 1er corps d'armée en garnison à Taşkışla à Istanbul, dans la nuit du 12 au 13 avril 1909. Plusieurs milliers de soldats désarmèrent leurs officiers, officiers instruits [
mektepli] pour la plupart, et favorables au Comité et les enfermèrent dans leur caserne. Ils allèrent manifester devant le parlement, pendant la journée du 13 avril. Leur nombre se grossit d'autres soldats, de religieux et d'étudiants des écoles traditionnelles [
medrese]. A la fin de la matinée, le parlement était encerclé par cinq à six mille soldats en armes.
Selon des témoins oculaires, tous les manifestants avaient reçu de l'argent. On les vit dépenser le 13 et le 14 avril des sommes hors de proportion avec leurs ressources. Il en était de même d'officiers connus qui montrèrent d'importantes sommes d'argent lors de la location de voitures dans lesquelles ils paradèrent.
Ils exigeaient la démission du grand vizir Hüseyîn Hilmî Paşa, du ministre de la Guerre, Rıza Paşa, et celle du président de l'Assemblée, Ahmed Rıza, le bannissement des députés unionistes et l'amnistie des troupes rebelles. En outre, ils réclamaient
le rétablissement de la Şari'â. Ils occupèrent le Parlement et le ministère de la Guerre et s'en prirent aux officiers diplômés dont une vingtaine fut tuée ainsi que deux députés. Le 14 avril au matin, les rebelles contrôlaient la capitale. Ahmed Tevfîk Paşa, qui avait longtemps été ministre de Affaires étrangères, fut nommé grand vizir et la Chambre reçut l'ordre de se conformer à la
Şari'â." (Odile Moreau,
L'Empire ottoman à l'âge des réformes. Les hommes et les idées du "Nouvel Ordre" militaire (1826-1914), Paris, Maisonneuve et Larose, 2007, p. 251-253)
"Les soldats rebelles s'en prennent aux Unionistes,
ils mettent à sac les rédactions de deux journaux pro-jeunes-turcs, le Tanin et le Şura-yı Ümmet, s'attaquent aux officiers mektepli [diplômés] dont une vingtaine sont tués, deux députés sont assassinés. Les Unionistes les plus en vue se terrent ou prennent la fuite. Toute la nuit, Istanbul retentit des tirs de joie des soldats enivrés par la réussite de la mutinerie. Au matin du 14 avril, la capitale est aux mains des rebelles. Le lendemain, les troubles s'étendent en province ;
à Adana, des émeutes sanglantes se produisent le 14 avril, au cours desquelles plusieurs milliers d'Arméniens sont massacrés. (...)
La rébellion semble avoir été organisée au départ par les libéraux, Sabahaddin et le Ahrar Fırkası (soutenus par une partie des Albanais hostiles aux tendances centralisatrices du Comité union et progrès), qui ont cherché à utiliser les éléments religieux : mais l'affaire tourne mal, la mutinerie prend des allures de réaction religieuse et de mouvement anticonstitutionnel. Très vite, il devient évident que les libéraux sont débordés et que l'insurrection échappe à leur contrôle." (François Georgeon,
Abdülhamid II : le sultan calife (1876-1909), Paris, Fayard, 2003, p. 420)
"Les Jeunes-Turcs avaient une victoire fragile.
Le coup qui ébranla leur
suprématie vint de l'un de leur bastion, la Macédoine, où des officiers
s'étaient constitués en cercles anti-unionistes au printemps 1912 : le
groupe des officiers libérateurs [
Hâl'askâr zabıtân], à Istanbul, avec
Nazim Paşa comme chef, le commandant du 1er corps d'armée basé à
Istanbul. Ils s'opposaient aux méfaits de la politique au sein de
l'armée et voulaient mettre fin à la suprématie du Comité. Les menaces
d'intervention militaires furent telles que Saïd Paşa démissionna le 17
juillet. Puis Gâzî Ahmed Muhtar Paşa fut appelé
pour former le « Grand
Cabinet », d'où les Unionistes étaient absents. Au début du mois d'août,
le parlement fut dissous et les Jeunes-Turcs perdirent leur dernier
appui." (Odile Moreau,
op. cit., p. 270)
"Les premières escarmouches commencèrent en mars
[1912] et l'insurrection fut générale au Kosovo en mai. Elle s'étendit ensuite à l'ensemble des quatre provinces
[albanaises]. Dès juin, les désertions dans l'armée ottomane furent telles qu'elle était paralysée, incapable, bien souvent, de faire autre chose que défendre les casernes et leurs dépôts de munitions. La crise était telle que le gouvernement dut démissionner dès le 17 juillet.
Ayant perdu le contrôle de l'armée, les Jeunes-Turcs durent même abandonner le pouvoir sur la base d'une sorte de coup de force de leurs opposants au sein de l'armée et au Parlement (les libéraux, favorables à un rapprochement avec l'Angleterre). Le nouveau gouvernement promit d'appliquer la Constitution et engagea des négociations avec les dirigeants de l'insurrection albanaise." (
Serge Métais, Histoire des Albanais. Des Illyriens à l'indépendance du Kosovo, Paris, Fayard, 2006, p. 258)
" « Les responsables de la défaite
[durant la Première Guerre balkanique, qui a éclaté en octobre 1912], dirent les journalistes « bien informés », ce sont les Jeunes Turcs ! »
On pouvait d'ailleurs attaquer ceux-ci d'autant plus facilement qu'un millier d'entre eux étaient enfermés dans les prisons de Constantinople. Les quelques-uns qui avaient pu échapper au coup de force policier de Kiamil pacha se voyaient refuser à peu près l'hospitalité de la grande presse française. Le Temps, par exemple, n'inséra leur défense qu'« à titre documentaire »." (Henry Nivet,
La Croisade balkanique. La Jeune Turquie devant l'opinion française et devant le socialisme international, Paris, 1913, p. 40-41)
"Cette période de
réformes et de transition était traversée de soubresauts où
s'affrontaient les aspirations à la modernité et la fidélité aux
préceptes de l'islam, représentées au sein de l'armée, se livrant à des
alliances pour s'assurer le pouvoir.
Epoque troublée, agitée par des
courants antagonistes qui fomentèrent cinq coups d'Etat en l'espace de
six années, dangers extérieurs qui, au lieu de s'effacer devant cette
société en reconstruction et en devenir, s'amplifiaient et prenaient une
acuité menaçant son devenir même.
Les conflits armés, la perte de
territoires, le reflux des immigrés [muhâcir] venant se réfugier en
Anatolie, suscitèrent une radicalisation où la guerre était la seule
issue pour sauver l'Empire." (Odile Moreau,
op. cit., p. 277)
"On voit bien ce qu'ils
[les unionistes] auraient pu faire en Europe,
mais on ne sait pas à quoi ils se heurtent en Asie et on leur demande d'accomplir tout de suite une tâche devant laquelle reculeraient les plus expérimentés des démocrates français. Les Jeunes-Turcs sont décriés et attaqués sournoisement par les éléments réactionnaires musulmans qu'ils ont vaincus ; et contre le Comité « Union et Progrès » on cherche à exciter le fanatisme de l'Arabie — et les Chrétiens d'Europe ne sont pas étrangers à ces manœuvres réactionnaires.
Pour douter de cet état de choses, il faut n'avoir pas lu les accusations lancées contre les Jeunes-Turcs lors des derniers soubresauts réactionnaires du cabinet Kiamil Pacha." (Henry Nivet,
op. cit., p. 125-126)
"(...)
Mahmud Şevket Paşa [grand-vizir] fut assassiné en pleine rue à sa sortie du
ministère de la Guerre [en juin 1913]. L'Entente libérale, dirigée par Kâmil Paşa,
préparait un « contre coup d'Etat » depuis quelques temps et
cherchait à prendre sa revanche sur le coup de force qui avait remis au
pouvoir les Unionistes quelques mois plus tôt. La participation de
l'armée au complot semblait indéniable, mais jusqu'où allait-elle ?
La répression fut terrible." (Odile Moreau,
op. cit., p. 295)
Complotisme et racisme (visant particulièrement les Juifs et les Tsiganes, les deux minorités qui ont le plus souffert du nazisme en Europe), cet antisémitisme "de peau" s'en prend aux israélites comme aux dönme (communauté musulmane composée de descendants des réfugiés sépharades de l'Empire ottoman) :
"Sur ce,
les renégats juifs de Salonique, autrement dit, les « Mamins », jaloux d'avoir également leur grand homme, attribuèrent, en grande partie, le mérite de la révolution à Enver bey, alors qu'à celui-ci peut seulement revenir, ainsi qu'on le voit une gloire analogue à celle des carabiniers d'Offenbach.
Lesdits Saloniciens allèrent au-devant de lui et lui firent une entrée triomphale dans leur ville où il dut essuyer l'accolade publique de Hilmi Pacha. Les journaux du moment saluèrent cette renommée artificielle, car ils doivent tout enregistrer. L'histoire heureusement remettra chacun à sa place. Telle est la vérité sur la révolution de juillet 1908.
Révolution qui dans ses traits principaux a un caractère plutôt albanais que turc, puisque les promoteurs et les auteurs en sont Albanais, et qu'ils se réfugient, pour agir, dans des localités albanaises et non dans des localités turques, sans doute par prudence.
Mais
Ahmed Riza bey, habile autant que Frégoli à changer de costume, après avoir renié l'islamisme à Paris, renia le positivisme à Constantinople, et,
tout en frayant surtout avec les renégats juifs de Salonique, les « mamins », ses nouveaux collègues du comité, afficha une piété exemplaire.
C'est lui qui proposa de donner à la fête purement religieuse de la naissance du Prophète un caractère officiel." (Chérif (Şerif Paşa, ancien diplomate ottoman, co-fondateur et leader du Parti radical ottoman qui fusionne par la suite avec l'Entente libérale, puis
pionnier du nationalisme kurde), "Une mise au point",
Mècheroutiette (journal dirigé par Şerif Paşa, organe du Parti radical ottoman, puis de l'Entente libérale), n° 12, 1er novembre 1910, p. 5-8)
"En 1908, l'armée seule avec le concours de quelques patriotes albanais
avait renversé le régime hamidien. Les vautours de la rue Bonaparte, et
Paris, s'abattirent sur Constantinople comme sur une proie. Et comme
après une bataille, vinrent aussi
les pillards, représentés dans la circonstance, par les « mamins » de Salonique, et certains « tchinguénés » [Gitans], pour
s'approprier le fruit des efforts de l'armée et de quelques patriotes
civils. On connaît partout la générosité du soldat, et son
désintéressement. L'arrogance de ceux qui se sont succédé au pouvoir
après la chute du cabinet Kiamil pacha, a écarté du premier plan les
vrais auteurs de la révolution parmi les hommes politiques." (Chérif,
"Une Nouvelle Aurore",
Mècheroutiette, n° 32, juillet 1912, p. 1)
"Le comité a d'ailleurs de bons conseillers
car il obéit dans la circonstance avec plaisir à une direction judéo-maçonnique, qui prodigue en sa faveur non seulement son expérience,
mais encore son influence en Europe, laquelle est considérable.
Nous n'avons pas de sentiments antisémites
[sic], mais nous ne pouvons nous empêcher de constater un fait, et même d'en profiter
pour donner un avertissement aux Juifs qui vivaient si paisiblement en Turquie depuis leur expulsion d'Espagne." (Chérif, "Le Moyen d'assurer la Paix",
Mècheroutiette, n° 48, novembre 1913, p. 4)
"Car Mahmoud Chewket Pacha aime le soldat. On prétend qu'il est cruel. Mais s'il a fait pendre tant de civils et de militaires,
c'est
pour procurer un peu de travail et d'argent aux tchinguénés, sorte de
bohémiens nomades, de romanichels, qui, seuls, en Turquie, consentent à
se faire pour quelques sous les exécuteurs de hautes oeuvres, et dont il
est le descendant.
Il a l'esprit de famille.
Il naquit en effet sous une tente, aux environs de Bagdad,
et porte d'ailleurs sur sa physionomie les traits caractéristiques de sa race.
On
prétend aussi voir la marque du goût passionné qu'il aurait pour les
exécutions en ce qu'il n'a pas craint de déclarer au correspondant du
New York Herald, après sa nomination, que la cour martiale dépendrait
désormais du ministère de la guerre, et que l'état de siège serait
maintenu.
Il y a tout simplement en cela un peu d'atavisme." ("Généralissime & Ministre",
Mècheroutiette, n° 5, 1er mars 1910, p. 2-3)
"Séid
bey. — Ancien groupe, ou nouveau groupe, tant que notre devise sera «
Union et Progrès » rien ne pourra se faire en dehors de cette formule.
L'union a pris naissance parmi nous sous la tente, elle restera notre
premier objectif, et le progrès continuera à rester le second ».
Il
est évident que la tente fait bien dans ce paysage, dans le désert de
ce discours. Mais Séid bey aurait dû préciser sous quelle tente est née
cette union,
une tente de soldats ou une tente de tziganes." ("Revue parlementaire",
Mècheroutiette, n° 20, juillet 1911, p. 48)
"Nulle part les Juifs n'ont été traités aussi libéralement qu'en Turquie, à n'importe quelle époque, malgré le fameux passeport rouge.
Mais ce n'est pas une raison pour qu'ils prennent dans notre pays la revanche des humiliations qu'ils subissent ailleurs. Parce qu'ailleurs ils ont été et sont encore opprimés,
ce n'est pas une raison pour qu'ils nous tyrannisent. Et c'est ce qu'ils font sous le manteau du comité Union et Progrès depuis la révolution de juillet 1908. Quand en 1909 le député juif Carasso signifia sa déchéance au Sultan Abdul-Hamid,
se présenta-t-il comme un successeur ? Sa visite marquait-elle l'avènement de sa race au pouvoir absolu ? [Carasso faisait en fait partie d'une délégation de quatre parlementaires : deux musulmans, l'Arménien catholique Aram Efendi, et lui-même, la focalisation sur le seul Carasso est un procédé récurrent du complotisme anti-unioniste, encore vivace aujourd'hui]
Encore une fois nous parlons dans l'intérêt des Juifs, autant que dans l'intérêt général, ayant à cœur
d'empêcher de la part du peuple des représailles que nous serions les premiers à déplorer. C'est déjà trop d'avoir sur les dernières pages de notre histoire la large tache de sang des massacres arméniens.
Nous disons : « il faut que les « donméhs » ou « mamins » et autres Juifs de Salonique cessent leurs provocations, s'ils ne veulent pas que les autres races, tant chrétiennes que musulmanes, y répondent. » (...)
Est-ce là le régime constitutionnel ? Et pourtant à l'inauguration du monument à la Liberté, le 23 juillet, Mahmoud Cheket pacha, ministre de la guerre, déclarait sérieusement dans son discours : « La nation ne peut vivre sans la constitution ». Et s'adressant aux officiers : « Jurez que vous vous opposerez de toutes vos forces à qui voudrait porter atteinte à la Constitution sacrée ».
Les officiers ont crié : « Nous le jurons ».
Comme Juifs et unionistes devaient rire en dedans !
Pendant ce temps, le « donméh » Djavid bey, ex-ministre des finances, fait une tournée politique en Anatolie pour expliquer aux populations les avantages du régime constitutionnel. (...)
Où sont les traîtres ? Qui a livré son pays à l'étranger ?
Il y a aussi l'affaire du boycottage anti-grec que les Juifs de Salonique maintiennent pour leur plus grand profit, et au détriment de la nation. (...)
Rappelons seulement qu'au mois de juin dernier des musulmans pillèrent des villages juifs aux environs de Tibériade, Nazareth, Caïffa. Ces incidents répétés sont les débuts du mouvement anti-juif qui se manifeste dans les milieux arabes et turcs. La population musulmane de la Syrie est très excitée contre les Juifs, qu'elle accuse de vouloir accaparer les terres, pour créer ensuite un Etat juif en Turquie.
On craint des pogroms à la russe.
Les Juifs devraient donc comprendre que la place qu'on leur fait dans l'Empire Ottoman, n'est pas indigne d'eux-mêmes, puisqu'elle est égale à celle des autres races. Et l'ayant compris,
ils devraient ensuite se hâter d'y rentrer, et y rester modestement et paisiblement. Ils seraient ainsi à l'abri d'orages semblables à ceux qu'ils ont subis autrefois en Espagne, et plus récemment en Russie, en Roumanie. Comprendront-ils et voudront-ils ?" ("Un avertissement",
Mècheroutiette, n° 21, août 1911, p. 21-24)
"C'est ce qui constitue le péril que nous mentionnions au début,
car
les Juifs, aidés dans la circonstance par leurs congénères les «
donméhs » ou « mamins » ont réussi à prendre la direction de la
politique dans l'Empire ottoman. (...)
Quelques Juifs et
donméhs de Salonique, parvenus à s'élever un peu au-dessus du niveau
social de leurs coreligionnaires, prétendent avoir provoqué et réalisé,
avec le Comité Union et Progrès, dont ils faisaient partie, la
révolution de juillet 1908. C'est faux. Ils n'ont pas fait la
révolution, c'est la révolution qui les a faits. Ainsi que nous l'avons
montré à plusieurs reprises, les véritables promoteurs et auteurs du
mouvement révolutionnaire furent des officiers et des notables albanais,
qui n'avaient à l'époque rien de commun avec le comité, et qui furent
seulement après coup embrigadés par celui-ci,
pour la plus grande gloire et surtout le plus grand profit de certains fils d'Israël et de Shabbethaï. Nous
avons d'ailleurs entre les mains la preuve que leur grand homme, Djavid
bey, n'a été admis dans le comité qu'après la révolution de juillet
1908." ("Le danger des vertus négatives",
Mècheroutiette, n° 23, octobre 1911, p. 34)
"Nous voudrions bien que Djemal Nouri bey éclairât sa
lanterne, en nous nommant ces quatre ou cinq personnes à la néfaste
influence et qui ne sont douées d'aucun génie, car tout le monde, en
Turquie comme à l'étranger, s'accorde à dire que
le Comité a été jusqu'à présent soumis aux Juifs et crypto-juifs (mamins) de Salonique. (...)
Dans ce cas, qu'il reconnaisse franchement que les ottomans ont
tout
avantage à ce que les Juifs restent politiquement à leur place, et que
l'Empire serait exposé au plus grand des dangers, si l'on tentait sous
une autre forme une expérience qui a si mal réussi une première fois.
C'est pourquoi le bloc enfariné de son pangermanisme plus ou moins
sioniste ne nous dit rien qui vaille." ("Un mémoire",
Mècheroutiette, n° 24, novembre 1911, p. 36)
"On a nommé comme chef d'état-major, dans ce nouveau corps d'armée, le lieutenant-colonel Remzi bey, président intérimaire de la cour martiale
et « mamin », comme Djavid bey, dont il est le parent. Ce sera évidemment un corps modèle que ce VIe corps
avec de tels officiers à sa tête. En Turquie,
on ne trouve, pour remplir l'office de bourreau, que des « tchinguénés » ; on répugne à leur serrer la main. Comment notre brave peuple ne trouverait-il pas étrange que l'on comble d'honneurs, de dignités, que l'on impose au respect de l'armée et du pays ceux qui ont fait pendre tout récemment encore tant d'innocents ?" ("Politique et Armée",
Mècheroutiette, n° 46, septembre 1913, p. 29)
"Quand je vis que l'on nous écartait, que l'on écartait le Prince
Sabaheddine et bien d'autres chauds amis, dont je me garderai comme du
feu de citer les noms, pour qu'on ne les fasse pas assassiner ou
empoisonner, mais qui sont de vrais gens d'Union et de Progrès, je ne
m'étonnai plus de grand chose, et
tout ce qui arrive m'étonne encore
moins depuis que le « Mècheroutiette » m'a appris que le premier sbire d'Ahmed-Riza,
le trop célèbre Mahmoud Chevket Pacha [un Tchétchène] est un Tzigane, que Talaat bey [un Turc d'Edirne] en est un autre, que Djavid bey, le docteur Nazim [un Turc de Macédoine] et tant d'autres sont des « mamins », ou juifs renégats évadés des ghettos de Salonique !" (Dr Edmond Lardy (arménophile suisse), "Lettre ouverte à S. E. le Général Chérif Pacha à Paris",
Mècheroutiette, n° 13, 1er décembre 1910, p. 8)
"Ce qui me décourage le plus, c'est de voir que les officiers de votre noble armée sont avachis
au point de ne pas comprendre d'où vient le mal et de ne pas avoir balayé tous les Mamins du comité de l'Union et Progrès à Salonique, ces gens qui proposaient au début de la guerre le massacre des Italiens en Turquie
[?] et qui sont toujours prêts aux pogroms et aux massacres de qui on voudra,
parce qu'on pille dans ces moments-là et que cela fait aller les « bédides affaires ».
Abdul-Hamid était un génie malfaisant mais un génie incontestable, et je comprends parfaitement que cet être vraiment extraordinaire ait réussi à paralyser toutes les volontés,
mais qu'une bande de renégats Juifs, Berbères et Ibères écorchant le Turc puissent continuer son œuvre et que les Osmanlis le supportent, cela passe mon entendement.
Il faut se taire, s'expatrier ou se faire assassiner, et ce sont vos jeunes officiers, des Osmanlis, qui devraient être l'espoir et l'orgueil du pays, qui, ô bonté !
se font les serviteurs de ces adorateurs du dieu de la « petite semaine »." (docteur Lardy, "Lettre ouverte au Général Chérif Pacha",
Mècheroutiette, n° 25, décembre 1911, p. 24-25)
"La suite, historique aujourd'hui, de la décadence de l'Empire ne m'a que trop donné raison. On n'a mis à la tête des affaires que des Turcs qui étaient des arrivistes affamés
et des deunmés (juifs renégats) qui ne demandaient qu'à manger les restes. Enfin non content d'étouffer toute égalité et toute justice, vous ne l'avez que trop montré et démontré, on ne tarda pas à étrangler la presse et à recourir à l'assassinat." (Dr Lardy, "Lettre ouverte au Général Chérif Pacha", supplément au
Mècheroutiette, n° 55, avril 1914)
"
Déclarations du grand vizir Férid Pacha
Le correspondant du
Daily Mail à Paris a interviewé Damad Ferid Pacha
[originaire du Monténégro, membre fondateur de l'Entente libérale, initiateur des procès contre les unionistes et signataire du traité de Sèvres], le Grand Vizir de Turquie, auquel il a demandé son opinion sur Mustapha Kemal, le leader des nationalistes turcs.
« Mustapha Kemal, a déclaré le Grand Vizir, est croit-on un Juif de Salonique qui a joué un rôle important dans l'organisation du Comité Union et Progrès.
« Ses principaux partisans ne sont pas davantage Turcs, mais des étrangers qui, pour un motif ou pour un autre, ont adopté la nationalité turque. L'un d'eux,
un Polonais nommé Alfred Bilinski, est inconnu sous le nom de Rustem bey ; il fut pendant quelque temps ambassadeur de Turquie à Washington. Un autre, Ali Fouad, est le fils d'un Allemand et d'une Allemande
[faux : il est seulement le petit-fils de Mehmet Ali Paşa, officier ottoman de souche allemande]. Tels sont les hommes qui prétendent parler au nom de l'Islam. » " ("Evacuation de l'Asie mineure ? Les attaques de Mustapha Kemal mettent en danger les troupes britanniques",
Paris-Midi, 19 juin 1920, p. 1)
"Les dirigeants d'Angora sont une poignée de brigands, ... des hommes sans véritable intérêt pour ce pays,
avec lesquels ils n'ont aucun lien de sang ou quoi que ce soit d'autre. M. Kemal est un révolutionnaire macédonien d'origine inconnue. Il ressemble plutôt à un Serbe. (!) ... Les
vrais Turcs sont fidèles à la base, mais intimidés ou trompés par de fausses déclarations fantastiques comme l'histoire de ma propre captivité. Ces brigands sont les hommes qui demandent ma soumission." (
Mehmet VI (sultan d'origine abkhaze
et juive, s'appuie sur l'Entente libérale après l'armistice de Moudros), déclaration à
Sir Horace Rumbold, 21 mars 1921, source : Gotthard Jäschke, "Die Nichtabdankung des Sultans Mehmed VI",
Die Welt des Islams, volume 11, n° 1/4, 1968, p. 230)
"De ces décisions celles qui concernent la séparation du Sultanat et du Khalifat et l'abolition de ce dernier dépassent
les droits que peut s'arroger le peuple turc formant six millions de musulmans et se trouvant actuellement sous l'impulsion et la conduite
d'une minorité agissante composée en grande partie des individus d'origine et de conviction douteuses qui se servent sur lui de la violence et de la contrainte et qui abusent de son innocence et de sa crédulité. (...)
Je crois qu'il n'est pas sans intérêt de donner ces éclaircissements à Votre Excellence,
le Premier Magistrat de la République Française qui compte parmi ses fidèles sujets un grand nombre de Musulmans.
L'Assemblée d'Angora vient d'autre part de décréter la confiscation des biens privés des membres de ma famille impériale et leur déportation à l'étranger. Ces décisions arbitraires les privent de leurs droits naturels les plus sacrés et, dans la situation difficile où ils se trouvent,
toute aide et protection qui de la part de Votre Excellence ou de la part du Gouvernement de la République Française leur seront accordées dans la mesure du possible leur seront certainement d'un très grand appui.
Par cette occasion, je souhaite une bonne santé à Votre Excellence ainsi qu'à Sa famille." (Mehmet VI, lettre à Alexandre Millerand, 13 mars 1924, source : Jean-Louis Bacqué-Grammont et Hasseine Mammeri, "Sur le pèlerinage et quelques proclamations de Mehmed VI en exil",
Turcica, volume 14, 1982,
p. 245-246)
Sympathies pour les régimes autoritaires (voire totalitaires) d'Europe :
"De Malte, Mahomet VI gagnait la Mecque
[alors contrôlée par les Hachémites, adversaires du califat ottoman], où il en appelait au monde musulman. Puis on annonçait son départ pour la Suisse. Et, depuis, il ne fut plus question de lui.
Celui qui fut le dernier empereur de Turquie mérite cependant quelques pages dans le roman des rois en exil — si nombreux en l'an de grâce 1923. Je suis allé chez l'ex-sultan. Il n'est point en Suisse
[une démocratie de tradition pacifique et sans possessions coloniales, contrairement à l'Italie de cette époque, qui s'était emparée de la Libye ottomane], comme on l'avait dit. Il était parti de la Mecque parce qu'il y faisait trop chaud (50 degrés à l'ombre, paraît-il). On lui fit observer que, par contraste, le climat helvétique lui paraîtrait trop froid.
Et comme il débarquait à Gênes [en mai 1923, Mussolini était au pouvoir depuis l'automne 1922], il reçut la visite de son ancien grand vizir, Ferid pacha, qui s'est retiré au cap d'Ail. Ferid lui vanta si bien les charmes de la Riviera que, renonçant à la Suisse, Mahomet VI alla s'installer à San-Remo, rendue à son élégante tranquillité depuis le départ des bruyants diplomates de la trop fameuse conférence. Dans la banlieue Est de la jolie station ligure, parmi les palmiers, les poivriers, les oliviers et les eucalyptus, s'élève, dans un site délicieux, une grande et somptueuse villa, dont la façade est peinte, à la mode italienne, de fleurs et d'arabesques : c'est la villa Nobel, qui fut édifiée par le célèbre Suédois.
Là vit, depuis six mois, avec son fils et une suite de dix personnes — officiers et serviteurs — plus un cuisinier et deux femmes de chambre italiens (il avait été question que ses épouses rejoignissent le sultan, mais finalement, elles sont demeurées à Constantinople), celui qui fut l'auguste maître d'Yldiz-Kiosk et de Dolma-Balgtché. (...)
Le plus souvent, quand il veut jouir du délicieux paysage de la côte ligure, l'ex-sultan se contente de demeurer sur le balcon de la villa.
A sa porte il y a, jour et nuit, en faction, deux carabiniers royaux. Ils connaissent l'importance de leur mission ; ils savent combien les attentats contre les hauts personnages sont chose courante chez les Orientaux. Aussi me fallut-il parlementer une bonne demi-heure avec ces cerbères à uniforme noire et à bicorne pour qu'ils consentissent à m'accompagner auprès d'un aide de camp ou d'un chambellan du sultan." (Paul Gordeaux, "Les rois en exil : Une heure chez Mahomet VI ex-calife et sultan de Turquie",
L'Echo de Paris, 11 septembre 1923, p. 1)
" « On peut dire que l'Empire ottoman est mort à San-Remo pour deux raisons », explique Riccardo Mandelli, auteur de
L'ultimo sultano (Lindau), « à la fois parce que c'est dans la ville ligure qu'est décédé le sultan détrôné par Mustafa Kemal, le futur "grand père turc", Atatürk,
et parce que la conférence internationale de San-Remo en 1920 avait sanctionné le démembrement de l'empire vaincu lors de la Première Guerre mondiale. »
Mahomet VI était arrivé à San-Remo trois ans plus tôt le 20 mai 1923 et s'était installé avec sa cour dans la villa auparavant habitée par Alfred Nobel.
Mahomet VI cultive l'espoir de revenir en vainqueur dans son pays et oeuvre pour atteindre son objectif : il reçoit des émissaires d'une société secrète islamique,
il rencontre le roi d'Italie [Victor-Emmanuel III] au Casino, félicite Mussolini pour avoir échappé à un attentat, il donne de l'argent qu'il avait apporté de Constantinople et tente des approches auprès du Vatican pour une alliance sans précédent entre les musulmans et les catholiques contre l'athéisme qui progresse à l'Est. Sa cour est peuplée d'espions, d'épouses infidèles, d'eunuques ivres, de Circassiens féroces qui ont le démon de la roulette, de parents téméraires." (Giuliano Galletta, "L'ultimo sultano a Sanremo",
Il Secolo XIX, 28 février 2011)
"VICHY, 6 juin. — Les déclarations par lesquelles
l'amiral Darlan [alors partisan d'une collaboration militaire avec le IIIe Reich, dans l'espoir de restaurer le statut de puissance de la France dans un monde dominé par l'Axe] a défini avec netteté la politique de la France ont provoqué un afflux de télégrammes approuvant l'action du vice-président du Conseil. Les assemblées communales et de nombreux groupements sociaux donnent, en cette occasion, maints témoignages de loyalisme au gouvernement.
Par ailleurs, un grand ami de la France,
le général d'armée Chérif Pacha, a envoyé le télégramme suivant à l'amiral Darlan :
« L'énergique déclaration que vous venez de faire à Paris est digne de la nation et de l'armée française dans laquelle j'ai eu l'insigne honneur de recevoir, en 1887, les épaulettes d'officier ».
Et le général Chérif Pacha, avec l'expression de son admiration, envoie lui aussi au Maréchal et à l'Amiral, ses respectueuses et sincères félicitations." ("Après le discours de l'amiral Darlan : Les témoignages de loyalisme affluent à Vichy",
L'Ouest-Eclair, 7 juin 1941, p. 2)
Voir également : Le patriotisme ottoman du Comité Union et Progrès (İttihat ve Terakki)
La révolution jeune-turque ou l'inextinguible lumière de l'espoir
La révolution jeune-turque et les minorités ethno-religieuses
Les
divergences du Comité Union et Progrès d'Ahmet Rıza avec la FRA-Dachnak
(et le prince Sabahattin) au sein de l'opposition anti-hamidienne : la
question de l'intervention étrangère et du terrorisme nihiliste
Le prétendu "massacre jeune-turc" d'Adana en avril 1909
Un
thème récurrent de la propagande arménienne : le soi-disant complot
judéo-maçonnique et dönme derrière la révolution jeune-turque
Une
des "raisons" de l'antisémitisme arménien : la loyauté des Juifs
ottomans à leur Etat, sous Abdülhamit II (Abdul-Hamid II) et les
Jeunes-Turcs
Talat Paşa (Talat Pacha), une victime du racisme anti-tsigane
Talat Paşa et les Juifs
Après tout, qui se souvient de l'amitié indéfectible entre Talat Paşa (Talat Pacha) et Ernst Jäckh ?
Le nationalisme turc et le panturquisme sont-ils les motifs des massacres et des déportations d'Arméniens (1915) ?
L'antisémitisme sanglant des nationalistes grecs
L'antisémitisme arménien : quelques pistes à explorer
La cause arménienne (Hay Tahd), ou le combat racial des "Aryens" contre les "Touraniens"
L'influence du darwinisme social sur le nationalisme arménien
Les "procès d'Istanbul" (1919-1920) : un point de vue hintchakiste