Sam Lévy (journaliste juif de Salonique, sympathisant de l'Entente libérale, parti d'opposition au Comité Union et Progrès), lettre au Journal de Genève, reproduite dans L'Univers israélite, n° 8, 29 octobre 1915, p. 202 :
"La révolution turque n'est nullement l'oeuvre des deunmés, malgré la présence d'un des leurs, Djavid bey, au sein du comité Union et Progrès. Talaat bey est un bon musulman et un brave et honnête garçon."
*** (Léon Ostroróg, juriste français d'origine polonaise, conseiller légiste du gouvernement ottoman jusqu'en 1914), "Hommes et choses de Turquie : Talaat Bey : Un patriote sincère. — Une grande intelligence. Les surprises qu'il nous réserve.", Paris-Midi, 30 novembre 1915 :
"Je sens que j'aborde ici un sujet terriblement délicat : parler de Talaat bey, n'est point chose facile. On s'est formé de lui, comme de tous les Jeunes-Turcs en place, une opinion définitive qu'il est bien difficile de modifier. Et puis, il ne s'agit point cette fois d'un fantoche ridicule, d'un fou dangereux comme Enver, il s'agit de juger un homme : et cet homme est notre ennemi.
Je n'entends point, tant s'en faut, réhabiliter Talaat ; je voudrais, plutôt, essayer de l'expliquer, en le suivant du jour où il apparut sur la scène politique jusqu'à l'époque actuelle ; je voudrais le mettre à sa véritable place comme chef incontesté de la Turquie, bien au-dessus des Enver, des Halil et autres comparses qui ne sont entre ses mains que des instruments dociles.
Il faut, pour cela, le prendre à ses débuts, quand il était, à Salonique, modeste employé des postes, conscient à la fois de sa valeur personnelle et de son ignorance des choses extérieures. C'est, en effet, de tous les hommes qui sont, en ce moment, à la tête de l'Etat turc, le seul qui, dès l'origine, s'est senti vraiment quelqu'un, tout en ne se faisant aucune illusion sur les moyens restreints que son éducation première avait mis à sa disposition.
Il y a huit ans, Talaat bey qui, à l'heure actuelle, parle assez correctement notre langue, ne connaissait que le turc ; encore n'en savait-il que tout juste assez pour remplir, sans éclat, l'emploi qu'il avait pu obtenir.
Et pourtant, dès l'instant où il entra, lui civil, dans le comité militaire de l'Union et Progrès, il réussit à prendre, sur tous ses compagnons, un ascendant véritablement surprenant. Il n'était point, il n'est point orateur ; quand il parle, il ne cherche pas à entourer ses idées de ces formules alambiquées dont la phraséologie turque est si friande : il parle net et clair ; c'est un des secrets de sa force.
Mais la source principale de sa puissance, c'est un patriotisme ardent que nul, parmi ses ennemis impartiaux, ne songe à lui contester. Talaat bey aime par-dessus tout son pays, il a toujours rêvé de lui rendre le rang qu'il occupait autrefois, il veut une Turquie forte, puissante, indépendante.
Qu'il n'ait pas réussi, qu'il se soit trompé sur le choix des moyens, qu'il ait même conduit sa patrie à la ruine définitive, en lui faisant lier son sort à celui des empires du centre, d'accord, mais qu'il soit traître à son pays, que, consciemment, il l'ait vendu à nos ennemis, jamais.
(...) Talaat est resté pauvre ; il est plus pauvre même qu'au jour où il apparut pour la première fois au Parlement ottoman, comme député d'Andrinople, sa ville natale. A l'heure actuelle, en effet, Talaat bey, prodigue, généreux, charitable, est l'homme le plus endetté de Turquie : il doit au moins 15.000 livres (350.000 francs) et je sais, détail typique, à quel ami turc il fut contraint de s'adresser la veille de son mariage, lui, le ministre de l'Intérieur, disposant sans contrôle de fonds secrets considérables, pour emprunter les 200 livres qui lui étaient nécessaires pour payer les frais de la cérémonie du lendemain.
Et c'est le patriotisme réel de cet homme, joint à son mépris absolu, j'allais dire son ignorance de l'argent, qui fit que jamais ses ennemis, et il en compte d'acharnés, ne mirent en doute sa sincérité.
C'est ce qui explique aussi pourquoi, dès le premier jour, Talaat bey, qui avait réussi à amener à l'Union et Progrès de précieuses adhésions, notamment celle de Hussein Hilmi pacha, alors inspecteur général des vilayets de Macédoine, se trouva placé au premier rang. Il ne se fit point remarquer à la tribune de la Chambre, mais il sut s'imposer par la clarté de ses conceptions : aussi ne s'étonna-t-on point, quand il décrocha son premier portefeuille.
Ignorant tout des affaires qu'il avait à diriger, il se mit très courageusement à la tâche, travaillant de jour et de nuit à combler les lacunes d'une instruction notoirement insuffisante. A l'heure où beaucoup de ses compagnons ne cherchaient qu'à profiter des situations conquises, il se mit à étudier, à étudier le français spécialement, pour pouvoir s'entretenir directement avec ceux qu'à Constantinople il était appelé à rencontrer chaque jour. (...)
La chute du cabinet unioniste, en juillet 1912, l'arrivée au pouvoir du vieux Kiamil pacha, la guerre balkanique et les désastres subis par l'armée turque devaient servir de leçon à Talaat : ses conceptions politiques en sortirent transformées ; il apparut mûri, vieilli en quelque sorte, au point de vue politique, si bien que l'un des diplomates les plus en vue à Constantinople me dit à l'époque : « Je n'ai jamais constaté évolution pareille : cet homme, parti de rien, est en train de devenir un véritable homme d'Etat. » "
Otto Liman von Sanders (général allemand, commandant des forces ottomanes à Gallipoli), Five Years in Turkey, Annapolis, US Naval Institute, 1927, p. 4 :
"De tous les autres ministres, Talaat, alors ministre de l'Intérieur, venait au premier rang. Personne ne pouvait échapper au charme de sa personnalité sympathique et attrayante."
Chékib Arslan (émir druze, panislamiste, nationaliste arabe et anti-kémaliste), préface à L'évolution politique de la Syrie sous mandat (Edmond Rabbath), Paris, Marcel Rivière, 1928, p. XIII :
"Sans nous en vanter, nous pourrions dire aujourd'hui que, grâce à l'amitié qui nous liait à Talaat pacha, grand-vizir, nous pûmes faire obtenir de lui, à l'ambassadeur des Etats-Unis à Constantinople, M. Alkusse [Elkus], l'autorisation de faire parvenir à Beyrouth les deux bateaux chargés de vivres, envoyés d'Amérique, à destination des sinistrés du Liban. Nous pûmes même persuader au gouvernement ottoman de confier la distribution de ces vivres au Consulat des Etats-Unis, à Beyrouth, sans ingérence des autorités turques locales.
Grâce aussi à notre intervention, Enver pacha, alors ministre de la guerre, pria le Nonce apostolique à Constantinople de demander au Saint-Père d'intervenir auprès des Puissances de l'Entente, afin de permettre aux secours venus d'Amérique ou d'autre part, d'être déchargés, à Beyrouth. Enver pacha ajouta, que si le Saint-Siège pouvait procéder au ravitaillement des chrétiens du Liban et de la côte, le gouvernement turc lui serait reconnaissant, et même, se disposerait à rembourser le coût des vivres envoyés. L'on voit donc que nous avions fait tout ce qui était humainement possible de faire, pour alléger les souffrances de nos compatriotes. Nous devons dire que la Turquie ne s'y est jamais opposée."
Voir également : Talat Paşa (Talat Pacha) et les Arméniens
Les assassinats de Talat Paşa (Talat Pacha) et de Simon Petlioura : la question de leur responsabilité personnelle dans les massacres dont ils ont été accusés
Talat Paşa et les Juifs
Le patriotisme ottoman du Comité Union et Progrès (İttihat ve Terakki)
Les Jeunes-Turcs et les confréries soufies
Les Jeunes-Turcs et l'alévisme-bektachisme