Julia Phillips Cohen, Becoming Ottomans : Sephardi Jews and Imperial Citizenship in the Modern Era, New York, Oxford University Press, 2014 :
"Même des affirmations telles que celle émise par l'homme d'Etat ottoman İbrahim Hakkı Bey selon laquelle "la Turquie s'est toujours distinguée par sa tolérance religieuse et sa clémence à l'égard des nations conquises", ont souligné que certains Ottomans s'identifiaient aux conquérants, tandis que d'autres continuaient à s'identifier ou à être identifiés, aux vaincus. En effet, au début de son règne, Abdülhamid II a interdit la célébration publique de l'anniversaire de la conquête ottomane d'Istanbul en 1453, de peur qu'elle ne soit interprétée comme une fête pour les seuls musulmans ottomans et qu'elle puisse provoquer du ressentiment parmi les observateurs grecs orthodoxes qui s'identifiaient aux prédécesseurs byzantins des Ottomans. " (p. 72)
Odile Moreau, L'Empire ottoman au XIXe siècle, Paris, Armand Colin, 2020 :
"Les régiments de cavalerie légère [Hamidiye Hafif Süvari Alayları] furent créés en 1890 par le sultan Abdülhamid II, assisté d'Ahmed Chakir Pacha, son aide de camp général, et du maréchal Mehmed Zeki Pacha, le commandant du quatrième corps d'armée basé à Erzincan. Les motifs avancés par le sultan étaient de protéger les frontières ottomanes des agressions extérieures et, sur le plan interne, d'organiser des fonctions de maintien de l'ordre, afin de contenir ou de supprimer les activités insurrectionnelles conduites par les nationalistes arméniens. Dans le contexte de la modernité ottomane qui se mettait en place, il s'agissait de promouvoir un Etat-moderne avec des frontières bien définies à protéger. Ainsi, cette nouvelle institution permettrait de tisser un lien direct entre le sultan Abdülhamid II et les tribus kurdes, afin de promouvoir l'Unité de l'Islam, dans l'objectif d'arrimer des provinces périphériques dans le giron ottoman. Cette entreprise était aussi considérée comme une forme de mission civilisatrice, ayant pour ambition de transformer des tribus considérées comme « barbares » en des agriculteurs sédentaires et paisibles attachés à l'Empire ottoman. La sédentarisation des tribus avait d'ailleurs été commencée, de manière sporadique, depuis plusieurs siècles. Or, l'Etat ottoman laissa les chefs des tribus kurdes Hamidiye spolier les terres des paysans arméniens, mais aussi celle des musulmans." (p. 186)
"Les deux partis arméniens Hentchak et Dachnak ne parvinrent pas à s'unir et la scission fut consommée en 1891. Des cellules du mouvement révolutionnaire Hentchak s'implantèrent en Anatolie orientale à partir de 1892 jusqu'en 1894. (...) La même année, en 1893, une affaire éclata à Merzifon. Deux enseignants d'un collège de missionnaires américains furent accusés d'avoir participé à des activités subversives. Condamnés à mort par le tribunal d'Ankara, ils furent graciés par le sultan Abdülhamid II, suite à des interventions britanniques." (p. 183)
François Georgeon, Abdülhamid II : le sultan calife (1876-1909), Paris, Fayard, 2003 :
"Dans la réalité, Abdülhamid se sert de son influence auprès des musulmans surtout pour les empêcher de se révolter. Lorsqu'une révolte éclate en 1881-1882 parmi les musulmans de Bosnie-Herzégovine contre la nouvelle administration autrichienne, Abdülhamid calme le jeu ; il donne de strictes instructions pour que les révoltés ne reçoivent aucune aide à travers la frontière depuis le territoire ottoman. Durant la guerre hispano-américaine de 1898, les Etats-Unis sollicitent Abdülhamid pour qu'il dissuade les musulmans des Philippines de prendre les armes contre les Américains, ceux-ci étant en guerre contre les Espagnols et non contre les musulmans. En 1900, au moment de la révolte des Boxers en Chine, à laquelle participent de nombreux musulmans chinois, c'est au tour de Guillaume II de demander à Abdülhamid d'user de son autorité de calife pour obtenir des combattants qu'ils déposent les armes. Le sultan envoie une délégation en Chine (délégation qui arrive trop tard, alors que la révolte a déjà été matée)." (p. 211)
"De 1890 à 1895, Şakir pacha, ancien ambassadeur ottoman à Saint-Pétersbourg (il est resté onze ans en Russie, faisant beaucoup pour améliorer les relations ottomano-russes et envoyant de nombreux rapports sur les institutions de l'Empire des tsars), est nommé aide de camp à Yıldız ; il va être durant cinq années un conseiller écouté d'Abdülhamid, lui apportant sa longue expérience de la Russie. Le signe du réchauffement ottomano-russe en est, du côté ottoman, qu'Abdülhamid autorise en 1893 la construction d'une chapelle commémorative russe à San Stefano, point extrême de l'avancée des armées du tsar en 1878." (p. 266)
"Sur le plan diplomatique, la victoire militaire des Ottomans aboutit à une défaite. Tout en restant officiellement possession ottomane, la Crète échappe dans les faits à l'Empire. Les grandes puissances (la Grande-Bretagne, la France, la Russie et l'Italie) obtiennent le départ des troupes turques de l'île, tandis que l'Allemagne et l'Autriche se désolidarisent de ces mesures. Sur proposition russe, le prince Georges, deuxième fils du roi des Hellènes, est nommé « gouverneur général de l'île ». L'île est maintenue d'une manière toute théorique sous contrôle d'Istanbul. Celui-ci se limite en fait au drapeau ottoman qui continue de flotter sur la forteresse de La Canée. Il n'est plus question de « souveraineté » ottomane, tout au plus d'une « suzeraineté ». En tout cas, un lien (même très ténu) est maintenu officiellement avec l'Empire, et c'est ce qui importe le plus au sultan. Toutefois, les musulmans de Crète, qui ont perdu confiance, se mettent à émigrer vers l'Anatolie, grossissant ainsi le flot des muhacir. L'Empire a été frustré de sa victoire militaire." (p. 337)
François Georgeon, "Le dernier sursaut (1878-1908)", in Robert Mantran (dir.), Histoire de l'Empire ottoman, Paris, Fayard, 1989 :
"Et surtout, le problème macédonien est plus que jamais dans une impasse. Depuis les événements sanglants de 1902-1903, les puissances européennes accentuent leur pression sur le gouvernement ottoman. En 1904, une gendarmerie internationale est établie en Macédoine, composée de Russes, d'Autrichiens, de Français, d'Italiens et d'Anglais." (p. 573)
Daniel Panzac, "La population de la Macédoine au XIXe siècle (1820-1912)", Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n° 66, 1992 :
"A partir de 1903, les problèmes de la Macédoine, devenue "la poudrière de l'Europe", acquièrent une dimension internationale à la suite du grave soulèvement dans la région de Manastir provoqué par l'ORIM et soutenu par les Bulgares. La violente répression ottomane entraine l'indignation plus ou moins intéressée des Puissances et notamment des Autrichiens et des Russes dont les souverains proposent une intervention européenne pour rétablir l'ordre. Ils envisagent également une éventuelle division de la Macédoine en zones nationales grecque, bulgare et serbe ce qui relance le terrorisme des komitadjis et des andartes qui cherchent, et parviennent en partie, à élargir et à délimiter clairement leurs futures zones. La présence, dès 1904, d'une gendarmerie européenne et le contrôle financier de la province par les Puissances à partir de 1905, suscitent un profond sentiment d'humiliation et la volonté de réforme des Turcs et tout particulièrement des officiers en garnison en Macédoine, principalement à Salonique. Ce sont eux, groupés dans le Comité Union et Progrès, qui provoquent la Révolution des Jeunes Turcs en 1908." (p. 128)
Voir également : L'indignation d'Ahmet Rıza devant les lâchetés du sultan Abdülhamit II
Le patriotisme ottoman du Comité Union et Progrès (İttihat ve Terakki)
Abdülhamit II (Abdul-Hamid II) : un sultan autoritaire et réformateur
Les officiers étrangers au service de l'Etat hamidien