Interview avec le professeur Ludwig Stein, lors d'une visite (en tant que prince héritier) à Berlin, source : Journal des débats politiques et littéraires, 4 janvier 1918 :
"Nos buts de paix sont : l'intégrité territoriale de la Turquie et l'intégrité religieuse du khalifat. Notre plus grand désir est de transformer notre pays en une puissance européenne qui partagera sur un pied d'égalité le destin des autres pays d'Europe."
Interview avec Robert Raynaud, Journal des débats politiques et littéraires, 22 septembre 1919 :
"Je me réjouis de m'entretenir avec un Français et j'en profiterai, puisque vous me le demandez, pour éclaircir sans attendre quelques points de nos affaires. Depuis dix mois, avec la France et ses alliés, nous ne sommes ni en paix ni en guerre, et cette situation sans exemple place l'empire ottoman dans une détresse matérielle et morale plus grave que jamais. (...)
Notre situation est grave, mais nous nous refusons à croire que les Alliés nous discuteront le respect dû à nos biens, à notre indépendance, à notre honneur, sur des terres turques, turques par une possession multiséculaire, turques par notre travail, turques par notre majorité ; quant aux populations non musulmanes, comment supposer qu'elles seront plus longtemps privées des sauvegardes qu'elles réclament dans le domaine matériel et spirituel ? Je suis et je ne peux pas l'oublier, le fils du sultan Abdul-Medjid, illustre dans notre dynastie impériale par le libéralisme de sa politique à l'égard des chrétiens.
Elevé à l'école d'un souverain qui était l'ami de l'Europe et admirateur de la civilisation occidentale, je ne faillirai pas aux lois de mon ascendance, non plus qu'aux obligations qui sont nées du monde nouveau surgi de la guerre et qu'un mot résume : liberté."
"Je vous prie d'être auprès de l'opinion publique en France l'interprète des sentiments de gratitude que j'éprouve en remarquant que la presse française a adouci à notre égard la sévérité de ses jugements. On commence à nous considérer avec plus de justice. En tout cas, moi et mon peuple, nous n'oublions pas qu'en 1878 la France et l'Angleterre, et dès 1854 ces mêmes puissances, ont donné à la Turquie une assistance précieuse. Nous espérons retrouver cette assistance aujourd'hui, ainsi que celle de la grande République américaine, malgré les réserves que lui impose le respect de la doctrine et des principes de Monroe."
Déclaration à Sir Horace Rumbold, en mai 1921, source : Gotthard Jäschke, "Die Nichtabdankung des Sultans Mehmed VI", Die Welt des Islams, volume 11, n° 1/4, 1968, p. 230 :
"Les Grecs poursuivent une politique d'extermination, les dirigeants d'Angora, poussés par des objectifs personnels, entretiennent des troubles. Les innocents sont les victimes des deux côtés."
Entrevue avec le général Maurice Pellé (haut–commissaire de la République française en Orient), relatée par ce dernier dans un télégramme du 25 octobre 1922, source : Jean-Louis Bacqué-Grammont et Hasseine Mammeri, "Sur le pèlerinage et quelques proclamations de Mehmed VI en exil", Turcica, volume 14, 1982, p. 229 :
"Les « jeunes gens » d'Angora ont des prétentions inadmissibles. L'influence bolchevique est facile à saisir dans les discours de leurs délégués. La conception qu'ils se sont faite de la souveraineté nationale ne correspond ni à l'état social, ni aux habitudes d'esprit du peuple turc : elle ne satisfait pas davantage à la loi religieuse. Je ne porte pas le costume des hodjas. Je ne me résignerai pas à être Pape. La conception islamique est que le Khalife doit être fort pour défendre la foi. Si les Turcs détrônent leur Khalife, les musulmans des autres pays chercheront un véritable Khalife hors de la Turquie, en pays arabe par exemple. La France, comme grande puissance musulmane, mesurera les dangers de cette éventualité. Devenue, par l'acquisition de la Syrie, limitrophe de la Turquie, intéressée de toutes manières à son paisible développement, elle ne pourra voir sans appréhensions un régime instable s'installer dans l'Empire ottoman. Nos intérêts se confondent. La Turquie a pour vous plus d'importance que la Syrie elle-même."
Manifeste au monde islamique, publié par le journal égyptien Al-Ahram, 16 avril 1923, source : Jean-Louis Bacqué-Grammont et Hasseine Mammeri, op. cit., p. 240-242 :
"En dehors de cela, mon principe personnel d'action — pour les changements de ministères comme pour le reste — fut d'être attentif à l'opinion publique et aux autres influences qu'il était impossible de rejeter, et j'ai retenu le point de vue des uns ou des autres bien plus souvent que je n'ai écouté mon opinion et mes sentiments personnels.
La preuve en est que j'ai admis que le Ministère de Tawfik Bâsâ [Ahmet Tevfik Paşa] subsistât plus de deux ans, du fait que l'opinion publique en était satisfaite et, ceci, sans tenir compte de sa complaisance à l'égard de la présence grandissante à Constantinople de l'influence des Kémalistes, dont les mauvaises intentions à l'égard de ma personne et de mon trône étaient indubitables. (...)
Le second point, qui concerne le fait que Constantinople ne serait plus la capitale, signifierait que les Kémalistes veulent se rapprocher des Bolcheviks en préparant la voie pour remettre théoriquement Constantinople à la Russie. Or, il n'y aura aucun moyen pour me faire approuver leur volonté d'empêcher le Califat d'être fixé dans une ville comme Constantinople, qui n'a jamais cessé d'en être le refuge politique et historique. (...)
Cette question [du califat] n'est même pas du ressort de cinq ou six millions de Turcs dont les uns sont exténués sous le joug de la contrainte et de l'oppression et les autres insouciants à l'égard des réalités de ce monde et faciles à tromper et à abuser. (...)
Je remercie Sa Majesté le Roi du saint pays arabe [le chérif Hussein], qui nous offre l'hospitalité, et ses nobles sujets pour toute la générosité qu'ils ont manifestée envers moi et mes compatriotes éloignés de leur patrie.
Je souhaite à Sa Majesté et à Sa généreuse famille [les Hachémites] un surcroit de dignité et d'honneur qui convienne à sa noble origine et à sa pure ascendance, et je souhaite ardemment à ce saint pays arabe et à sa fière population de s'épanouir à l'ombre de ce trône, comme il sied à leur illustre passé qui est la splendeur de l'histoire."
Réponses aux questions de Paul Gordeaux, L'Echo de Paris, 11 septembre 1923 :
"Sa Majesté a la conviction que, si l'empire ottoman avait duré, les bonnes relations traditionnelles entre la France et la Turquie auraient été maintenues."
"Je souhaite de tout cœur bonheur et prospérité à votre pays."
Lettre à Alexandre Millerand, 13 mars 1924, source : Jean-Louis Bacqué-Grammont et Hasseine Mammeri, op. cit., p. 245-246 :
"A son Excellence Monsieur Millerand, Président de la République Française, à Paris.
Monsieur le Président,
Votre Excellence renseignée sur le sens exact et la portée des événements politiques mondiaux n'ignore certainement pas les mobiles et les raisons qui m'ont obligé de quitter provisoirement ma capitale : je juge par conséquent inutile d'entrer en explication sur ce sujet.
Ce départ n'implique nullement de ma part une renonciation à ma dignité de Sultan et de Khalife que ma dynastie tient depuis plus de six siècles et qui m'a été dévolue conformément à mon droit sacré de succession au trône de mes ancêtres. Il est de toute évidence que les décisions de l'Assemblée d'Angora composée de mes sujets rebelles sont nulles à cet effet et condamnées à rester inopérantes. (...)
Je crois qu'il n'est pas sans intérêt de donner ces éclaircissements à Votre Excellence, le Premier Magistrat de la République Française qui compte parmi ses fidèles sujets un grand nombre de Musulmans.
L'Assemblée d'Angora vient d'autre part de décréter la confiscation des biens privés des membres de ma famille impériale et leur déportation à l'étranger. Ces décisions arbitraires les privent de leurs droits naturels les plus sacrés et, dans la situation difficile où ils se trouvent, toute aide et protection qui de la part de Votre Excellence ou de la part du Gouvernement de la République Française leur seront accordées dans la mesure du possible leur seront certainement d'un très grand appui.
Par cette occasion, je souhaite une bonne santé à Votre Excellence ainsi qu'à Sa famille."
Voir également : La francophilie de Mehmet VI (dernier sultan ottoman) et d'Abdülmecit II (dernier calife)
Rencontre avec Abdülmecit II (1922)
Le contexte de l'abolition du califat en Turquie (1924)