lundi 1 juillet 2019

Mustafa Celâlettin Paşa et la défense de la présence turque-ottomane en Europe




Moustapha Djelaleddin (Konstanty Borzęcki), Les Turcs anciens et modernes, Paris, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1870, p. 357-362 :

"2. (...) Après cela, comment qualifier l'aveuglement des Jugo-Slaves de la Turquie, qui se laissent entraîner par les Finno-Mongous [les Moscovites] dans un antagonisme contre les Turcs ? Loins de vouloir démêler, dans les chroniques bysantines, que ce furent les khans des Avares qui les organisèrent, en les armant contre les Bysantins et contre les Teutons, ils ne se demandent pas, comment deux petits peuples slaves, jouissent de l'indépendance la plus complète sous les ailes de la Turquie quand de grandes et célèbres nations slaves endurent l'esclavage ? L'alliance turco-slave et sarmato-slave, ancienne comme le monde, fut, à ce qu'il parait le berceau de cette race. Cette alliance de tous les temps était la seule possible ; parce que, les Turcs seuls respectent les nationalités et leurs idiomes. On n'a qu'à voir le long martyre de la Pologne et songer que, plus que la défectuosité de ses institutions, ce furent les vues religieuses, introduites postérieurement par les Jésuites, qui l'armant contre les Turcs et contre les dissidents religieux, perdirent cette grande nation ; cet exemple suffira à faire mesurer le gouffre, qu'au même titre, préparent aux Slaves les Starovertsy (Vieux-Croyants) moscovites.

3. La même considération concerne l'ancien noyau turco-égyptien ou turco-arabe des Hellènes, dont l'agitation fébrile et anti-européenne paraît le condamner à un sort bien triste, soit dans les étreintes de la Russie, soit par la juste colère de l'Europe. Il est vrai que les îles et les presqu'îles de la Grèce défient, par leur configuration géographique, tous les essais de centralisation, sans précédent dans l'histoire, et sans but dans un pays dont les habitants ne sont pas agriculteurs, tandis que le commerce de chaque partie de la Grèce se doit à soi-même. Cependant les Hellènes qui doivent tout à l'Europe, et se font remarquer par les Moscovites, offrent un spectacle bien triste de l'absence de principes moraux. Il serait donc ridicule de demander comment les enfants d'Alcibiade ne comprennent pas que tous leurs intérêts leur prescrivent de se tenir attachés à la cause de l'Orient. Cela est surtout vrai au moment où l'Europe civilisée et libérale est plus que jamais puissante, et que le canal de Suez allant s'ouvrir, les villes de la Grèce auraient pu, peut-être, par leur alliance sincère avec la Turquie ; ramener dans leur sein une prospérité qu'elles n'ont pas possédée aux temps d'Agesilas et de l'empereur Héraclius.

4. Quant aux prétendus civilisateurs du monde, qui se demandent ce que font les Turcs en Europe, et qui disent que cet état de choses n'est, aujourd'hui, qu'un anachronisme, observons que ces grands réformateurs présentent eux-mêmes le plus déplorable anachronisme, — celui de leurs opinions incompatibles avec les lumières du dix-neuvième siècle. (...)

6. Il y a sept ans, j'ai signalé l'insuffisance de l'ancienne tactique des armes, et quoique mon écrit n'ait engendré que des haines..., Sadowa a confirmé mes assertions. Aujourd'hui, je ne fais que peindre le peuple turc, tel qu'il était et tel que la réforme l'a rendu ; de nos jours, on ne fait pas de tableau sans ombres. Pourquoi ai-je entrepris cette tâche ingrate ? C'est que, je ne suis pas de l'opinion de ceux qui prétendent que le patriotisme, le dévouement au trône, l'intégrité, le zèle, le sang même versé pour son pays, se comptent chez nous comme autant de crimes. Non, je crois au patriotisme de ceux auxquels Dieu et le Souverain ont remis le sort des Pélasgues modernes ; et il est probable, qu'à la vue de tant de gloire et de droits historiques, tels qu'aucune nation au monde n'en possède de pareils, on comprendra les aptitudes et l'avenir des races turques.

7. Cet écrit, commencé au moment des animosités de la question gréco-crétoise, voit aujourd'hui surgir de cette question la concorde de l'Europe, qui fait ajourner les ambitions moscovites. Grâce à ces dispositions, il faut espérer que la cause de l'humanité triomphera par la restauration de l'équilibre de l'Europe et celle de la grande nationalité de la Pologne, non pas par l'application microscopique du principe des nationalités factices en Orient, au profit de la Russie. En effet, les meilleurs principes, poussés à outrance, deviennent de dangereuses rêveries, quand leur application contraste avec les faits observés dans le domaine de la vie pratique, avec la forme et les proportions de la société actuelle. Croyons donc à l'avenir de l'humanité et de ses droits et félicitons-nous, aujourd'hui, que cette cause, plus que jamais puissante, compte dans ses rangs, outre la France et l'Angleterre, l'Autriche, l'Italie, la Turquie, la Scandinavie et bientôt peut-être l'Espagne etc. Que ne pouvons-nous y enregistrer la Grande fabrique des nations, qui à ce qu'il paraît, n'est occupée que de se fabriquer elle-même, inclusivement avec le grand duché de Posen etc. !"

Pour rappel : Mustafa Celâlettin Paşa alias Konstanty Borzęcki

Voir également : L'immigration des réfugiés politiques hongrois et polonais dans l'Empire ottoman

L'épopée des volontaires polonais de l'armée ottomane

Franciszek Henryk Duchinski (historien polonais originaire de Kiev)

Adam Mickiewicz (poète et patriote polonais)

Les patriotes hongrois de 1848 et la Turquie ottomane

Joseph Arthur de Gobineau