Ahmet Yaşar Ocak, "Idéologie officielle et réaction populaire : un aperçu général sur les mouvements et les courants socio-religieux à l'époque de Soliman le Magnifique", in Gilles Veinstein (dir.), Soliman le Magnifique et son temps. Actes du Colloque de Paris. Galeries Nationales du Grand Palais. 7-10 mars 1990, Paris, La Documentation Française, 1992, p. 187-188 :
"En ce qui concerne la deuxième grande catégorie de mouvements socio-religieux, nous y incluons les mouvements ou plutôt les courants apparus dans ce qu'on peut considérer comme les milieux intellectuels de la capitale ottomane, se composant des 'ulemâ et des soufis issus de la classe supérieure de la société ottomane. Il est cette fois encore nécessaire de distinguer ces mouvements, comme ceux de la première catégorie, en deux groupes, dont le premier se rapporte aux 'ulemâ de différentes tendances religieuses, et le second aux soufis appartenant à deux ordres de derviches célèbres à l'époque.
Le premier courant religieux né dans les milieux d''ulemâ est celui de Birgivî Mehmed Efendi et de ses disciples, représentant une tendance puritaine qui visait à purifier l'islam de tous les éléments mystiques, seuls responsables à leurs yeux de la décadence de la société musulmane. Birgivî et ses partisans accusaient les hommes d'Etat de l'époque, d'avoir encouragé les soufis par de nouvelles fondations de vakf. Pour soutenir sa thèse, Birgivî avait rédigé certains ouvrages et opuscules dans lesquels il critiquait sévèrement le Şeyh ül-islâm Ebû's-Su'ûd Efendi, représentant le plus éminent de l'islam officiel appuyé par l'Etat.
Par son comportement, Birgivî donnait l'image d'un vrai successeur de l'école hanbalite, et il partageait les idées d'Ibn Teymîye el-Harrânî (mort en 1328), célèbre théologien arabe. Si l'on étudie ses ouvrages, on constate en effet que Birgivî avait été fortement influencé par ce grand savant hanbalite, bien qu'il ait été lui-même hanéfite. Ainsi a-t-il réussi à former une école sunnite puritaine qui allait donner naissance, au XVIIe siècle, sous Murad IV, à un mouvement rigoriste représenté par les Kâdîzâdeli.
Bref, ce courant religieux à tendance hanbalite, qui se transformera avec le temps en un véritable mouvement religieux au XVIIe siècle, né au sein du hanéfisme, mais opposé au sunnisme pratiqué par le pouvoir central, doit être considéré comme un phénomène religieux très important dont l'influence s'exerce jusqu'à nos jours en Turquie."
Voir également : La pluralité de l'Islam turc
La législation ottomane : du kanun aux Tanzimat
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