dimanche 10 janvier 2016

Halide Edip Adıvar : féministe, musulmane, nationaliste turque




Nilüfer Mizanoglu-Reddy, "Femmes écrivains turques contemporaines", Peuples méditerranéens, n° 60, juillet-septembre 1992, p. 86-87 :

"Les Tanzimat (1839) ouvrent la voie à des réformes administratives, légales et politiques. Un groupe d'intellectuels, les Jeunes Ottomans, très préoccupé du déclin de l'Empire, milite pour les idées de patriotisme, de liberté et d'égalité. Beaucoup d'entre eux sont poètes, écrivains ou journalistes. Ils souhaitent simplifier le langage écrit, et introduisent des formes littéraires occidentales (roman, théâtre, essais) dans lesquels ils exposent les problèmes sociaux comme l'esclavage et le mariage coutumier. Ils sont en faveur du progrès et de la science. En même temps, le conflit entre les valeurs de l'Est et de l'Ouest devient un sujet majeur de réflexion.

L'éducation des femmes prend de l'importance. Un nombre croissant de filles fréquente les écoles primaires et secondaires. Une école normale de jeunes filles est ouverte en 1870. Des écoles de commerce et de sage femme sont aussi créées, ce qui signifie davantage d'activités publiques pour les femmes.

A la fin du XIXe siècle, l'instruction s'accroit parmi les femmes des classes supérieures. Fatma Aliye Hanim (1864-1924) est l'une des premières femmes à s'émanciper des restrictions de son milieu. Elle étudie le français et fait des traductions. Elle critique le statut secondaire fait à la femme et la polygamie dans un article de revue publié en 1896.

Au début du XXe siècle, apparaît une nouvelle génération d'écrivains ; parmi eux, une femme, Halide Edip Adivar (1884-1964). Elle est aussi active au plan politique, et sa carrière débute au cours de la Révolution Jeune Turc de 1908 qui renverse le régime despotique de Abdulhamit II. Après la Première guerre mondiale, pendant l'occupation d'Istanbul par les alliés, elle dénonce l'occupation dans des meetings populaires. Elle se rend à Ankara en 1919 pour se joindre au mouvement nationaliste conduit par Mustafa Kemal Atatürk.

Dans ses premiers romans centrés sur des femmes, Halide Edip Adivar présente des héroïnes occidentalisées pour qui est essentielle la recherche de leur propre personnalité, ce qui engendre des conflits dans leurs relations avec les hommes et la société. A la suite de son expérience personnelle de la Guerre d'indépendance, elle écrit deux romans, Atesten Gömlek (La chemise en feu ; 1922) et Varun Kahpeye (Frappez la prostituée ; 1923) dont les protagonistes femmes sont une infirmière et une enseignante qui meurent en défendant la cause nationaliste.

Halide Edip Adivar était alors considérée comme une écrivaine de premier plan et une éducatrice remarquable ; par la suite, des désaccords avec le gouvernement nationaliste la conduisent à s'exiler de 1926 à 1939. En 1935, elle publie le roman, The Clown and his Daughter (Le clown et sa fille), écrit d'abord en anglais, qui se situe dans la première décennie du siècle à la veille de la Révolution Jeune Turc. L'héroïne, Rabia, chanteuse d'hymnes islamiques d'un quartier pauvre d'Istanbul, se marie avec un musicien italien après qu'il ait accepté de se convertir à l'islam, et d'adopter son mode de vie. La victoire des femmes orientales sur les hommes occidentaux est confirmée par le nom que prend l'époux, Osman. Toute sa vie, Halide Edip Adivar poursuit l'écriture et l'enseignement. Ses romans tardifs n'ont, malheureusement, plus la force et l'audace des premiers."


Paul Dumont, "La revue Türk Yurdu et les musulmans de l'Empire russe, 1911-1914", Cahiers du monde russe et soviétique, volume 15, n° 3-4, 1974, p. 317, note 13 :

"Halide Edip Adivar (1884-1964) représentait, à l'époque qui nous occupe, un phénomène d'une grande rareté dans la société ottomane : une femme journaliste et romancière. Vers 1912, elle avait déjà publié plusieurs livres et notamment un roman intitulé Yeni Turan (Le nouveau Touran), Istanbul, 1912. Elle était une des militantes les plus en vue des Foyers turcs, où elle donnait volontiers des conférences publiques. Au lendemain de la guerre, elle devait collaborer au mouvement de libération anatolien, mais sans réussir à faire admettre certaines de ses idées par Mustafa Kemal. Contrainte à l'exil de 1924 à 1938, elle publia à l'étranger plusieurs volumes autobiographiques (Memoirs of Halide Edip, Londres, 1926 ; The Turkish ordeal, Londres, 1928), des romans et quelques études à caractère politique. Revenue en Turquie après la mort d'Atatürk, cette femme d'une vitalité remarquable poursuivit jusqu'à sa mort une activité universitaire, interrompue seulement, entre 1950 et 1954, d'un mandat parlementaire."


Voir également : La révolution jeune-turque ou la quête d'une modernité turque

Ce que cache le pathos sur les "Arméniens cachés" (expression ridicule puisqu'il s'agit de descendants partiels d'orphelins arméniens)