lundi 15 juin 2015

Rüstem Mariani Paşa




Antoine A. Khair, Le Moutaçarrifat du Mont-Liban, Beyrouth, Publications de l'Université Libanaise, 1973, p. 87-89 :

"Rustem Pacha (1873-1883).

Bien que la plupart des auteurs disent que Rustem Pacha, italien de naissance, était comte Mariani, un rapport de l'attaché militaire à l'ambassade de France à Constantinople semble affirmer le contraire en brossant du Moutaçarrif le tableau suivant (2) :

« Rustem Pacha est fort connu en Europe où il a rempli de longues et importantes missions diplomatiques. Son nom a aussi quelque notoriété en France, où de longues polémiques ont été engagées à son sujet depuis qu'il gouverne le Liban, notamment à propos de ses démêlés avec un des principaux évêques maronites, Monseigneur Bistani, Evêque de Saïda, On sait assez généralement qu'il est né en territoire autrichien, d'une mère italienne, de réputation galante, et d'un père inconnu, qu'il fut attiré en Turquie par certains hasards de la vie errante de sa mère et qu'il s'y fixa ; on sait moins que, dans l'intervalle, il avait vécu en France, où il fut candidat (à) polytechnique, puis en Vénétie, il eut un emploi subalterne dans la police autrichienne.

Le hasard qui avait amené Rustem Pacha à Constantinople le mit en rapports particuliers avec un Pacha militaire important qui le prit comme aide de camp et qui, étant devenu Séraskier, l'envoya, dans l'année 1835, remplir une mission à Tripoli de Barbarie. Rustem était alors capitaine et ne pouvait guère avoir moins de 24 à 25 ans ; il ne saurait donc ajourd'hui être d'un âge inférieur à 69 ou 70 ans. »

Le diplomate ajoute qu'on ne sait s'il était devenu musulman, qu'il rentra dans la diplomatie et, ne voulant pas être classé comme renégat puisqu'il a dû vivre en Europe, « est donc, ajourd'hui, officiellement chrétien, et c'est ainsi qu'il a pu, en 1873, devenir avec l'agrément des Puissances garantes, gouverneur pour 10 ans, du Sandjak indépendant du Liban ».

« On a souvent dit de Rustem qu'il est italien de naissance, turc de choix, anglais de tendance et que, dans cette trilogie internationale, il n'y a guère de place pour des sympathies françaises » mais, affirme l'attaché français, ceci est exagéré malgré ses sympathies pour l'Angleterre et ses dires volontiers qu'il est tory. Il aurait été assez habile pour se concilier la sympathie des ambassadeurs anglais à Constantinople mais il est loin d'être un simple agent anglais.

« Rustem Pacha est un homme habile et un égoïste dévoué à la Turquie... très entier dans ses idées, très despote, il a gouverné la Montagne en souverain absolu mais personne ne nie qu'il l'ait fait avec beaucoup d'intelligence, d'activité et d'esprit de justice. »

Selon le même rapport, il aurait été vaniteux, se serait inspiré de sentiments anti-catholiques et son grand défaut aurait été les femmes. Son entourage, de moralité et d'éducation fort inférieures, aurait contribué à démoraliser le Liban.

Malgré tout ceci, il demeurait « un gouverneur actif, ferme et relativement impartial » et, n'étant pas un client de la France, il n'en tenait pas moins compte de l'avis de ses représentants. En effet, Rustem Pacha était plutôt hostile à la France et aux Maronites, et favorisait, avec l'aide de Monseigneur Piavi, le délégué apostolique, la politique italienne.

La fermeté exemplaire de Rustem Pacha nous est relatée par des documents d'archives racontant sa façon de réunir les moudirs et les cheikhs par l'intermédiaire du caïmacam pour se voir notifier les ordres et en écouter le commentaire et, plus particulièrement, par un récit de cheikh Rachid El-Khazen à propos d'un incident qui se serait produit à Mazraat-Kfardebiane.

Dr Chaker El-Khoury prétend que Rustem Pacha est devenu d'esprit partisan après avoir exilé Monseigneur Boustany et qu'il sema la discorde entre les familles en prenant pour règle de nommer un parent à la place de son cousin évincé.

Le consul de France lui reprochait, d'ailleurs, d'exercer des pressions pour faire élire ses partisans au Conseil administratif et de s'immiscer dans le déroulement de la justice.

Quoi qu'il en soit, Rustem Pacha accomplit au Liban une œuvre très importante durant ses dix années de gouvernement ; nous le voyons, par exemple, promulguer un règlement concernant le travail dans les manufactures de soie, sévir contre l'exercice illégal de la médecine et ordonner l'inspection des officines et des pharmacies, envoyer de jeunes libanais à Istamboul pour faire leurs études aux frais de l'Etat, établir des dossiers personnels pour les fonctionnaires, essayer d'ouvrir des souks dans les villages sous le contrôle et avec les encouragements du gouvernement.

Jouplain, très enthousiaste il nous semble, émet sur Rustem Pacha ce jugement très avantageux : « Depuis l'Emir Béchir-le-Grand, il a été le gouverneur le plus remarquable que le Liban ait connu ; malgré ses trop nombreux abus d'autorité, son administration a été bienfaisante. Il a remis de l'ordre dans les finances par sa stricte économie, et a véritablement préparé le grand essor économique... ».

En 1883, à l'expiration de son mandat, et après avoir assuré l'intérim durant quelques mois, Rustem Pacha fut nommé ambassadeur ottoman à Londres ; avant son arrivée au Liban, il avait occupé le même poste à Saint-Pétersbourg. (...)

(2) Archives du ministère français des Affaires étrangères, t. 123, 1860-1881 (Turquie : mémoires et documents)."

  
François Georgeon, Abdülhamid II : le sultan calife (1876-1909), Paris, Fayard, 2003, p. 283 : 

"Abdülhamid est très bien informé du mouvement arménophile en Europe et aux Etats-Unis et suit de près les activités des comités révolutionnaires grâce à ses ambassadeurs, notamment Mavroyeni bey, un Grec en poste à Washington, et Rüstem pacha, un catholique d'origine italienne qui représente l'Empire à Londres."

Ömer Lütfi Paşa alias Mihajlo Latas




A. Ubicini, "Omer-Pacha", L'Illustration. Journal universel, n° 555, volume XXII, 15 octobre 1853, p. 248-249 :

"Omer-Pacha, muchir (feld-maréchal), ottoman, commandant en chef des troupes turques en Bulgarie, est né en 1801, à Vlaski, bourg de la Croatie, situé dans le cercle d'Ogulini, dont son père était lieutenant-administrateur. Son nom de famille est Lattas. Admis très-jeune à l'école militaire de Thurm, en Transylvanie, le jeune Lattas commença sa carrière militaire au service de l'Autriche. A la suite d'une querelle avec son officier supérieur, vers 1830, il émigra en Turquie, où le vieux Khosrew-Pacha, alors seraskier (ministre de la guerre), le prit sous sa protection, et le fit entrer dans l'armée régulière avec le grade de binbachi (chef de bataillon), après l'avoir marié à la fille d'un ancien chef de janissaire, sa pupille.

J'eus l'occasion de voir plusieurs fois Omer-Pacha, en 1848, en Valachie, à l'époque où il commandait le corps expéditionnaire mis à la disposition de Suleiman-Pacha, envoyé, peu après son retour de son ambassade de Paris, dans les principautés, comme commissaire extraordinaire de la Porte. Il n'était encore que général de division, mais il fut, quelques semaines après, promu au grade qu'il occupe aujourd'hui, et qui est le dernier échelon de la hiérarchie militaire en Turquie.

L'armée turque, forte d'environ 15,000 hommes, était campée le long de la rive gauche du Danube, à trois quarts de lieue de la petite ville valaque de Giurgewo, située vis-à-vis de Routschouk. Le général me fit visiter lui-même son camp, et j'admirai l'ordre et la discipline qui y régnaient. Ce qui me frappa surtout, quoique peu familiarisé avec de pareils détails, ce fut moins la bonne tenue des troupes, bien différente de celle des troupes russes que je vis un mois après, que le soin, la vigilance apportés dans la direction du matériel, dans les approvisionnements, dans le service des ambulances. Cette partie si essentielle et, il faut le dire, si négligée jusqu'ici par les généraux ottomans, du service des armées, préoccupait au plus haut degré Omer-Pacha. Aussi passe-t-il pour aussi bon administrateur que bon général.

J'entrai avec lui à deux ou trois reprises sous les tentes des soldats ; il nommait la plupart par leur nom, goûtait leur eau et leur riz, s'enquérait de leurs besoins, et leur adressait des questions auxquelles ils répondaient avec un ton de familiarité respectueuse, d'où je tirai la preuve que le général avait su conquérir dans son armée cette popularité qui a été le propre de la plupart des grands capitaines.

Omer-Pacha ne parle pas le français, quoiqu'il l'entende, je crois, passablement ; mais il s'exprime avec une égale facilité en turc, en serbe, en allemand, en italien. C'est dans cette dernière langue que nous conversâmes. Il était impatient de la guerre, qui, à ce moment aussi, semblait ne tenir qu'à un fil, et il s'indignait des lenteurs de la diplomatie, tout en s'abstenant de tout ce qui eût pu en contrarier l'action.

Il avait à cette époque (et il a, je crois, encore aujourd'hui) pour officier d'ordonnance le chef d'escadron, depuis colonel, Iskender-Bey, qui avait fait ses études en France. Celui-ci me raconta plusieurs particularités de la vie du général en chef. Omer-Pacha avait figuré avec distinction dans toutes les luttes que la Porte avait eu à soutenir depuis quinze ans ; luttes causées, la plupart, par la nécessité de faire rentrer dans le devoir des provinces depuis longtemps insoumises, ou rebelles à l'introduction récente du tanzimat. Telles avaient été les expéditions de Syrie, en 1844, et, plus tard, celles de la Géorgie et du Kurdistan. Cette dernière surtout avait été glorieuse pour Omer-Pacha. Il avait fait reconnaître partout l'autorité de la Porte, et amené prisonnier à Constantinople le chef des rebelles, Bederkhan-Bey, dernier représentant de cette féodalité turbulente à laquelle Mahmoud avait porté de si rudes coups. Sultan Abdul-Medjid, plus miséricordieux que son père, pardonna à Bederkhan-Bey, et récompensa son vainqueur en faisant frapper, à la suite de cette campagne, une médaille dont il voulut le décorer lui-même.

Après l'occupation momentanée des principautés, Omer-Pacha, appelé au commandement en chef de l'armée de Roumélie, fut chargé de la tâche difficile de pacifier la Bosnie (1851). Il la remplit également à son honneur, et, dans cette expédition, comme dans celle qu'il dirigea l'année dernière contre le Monténégro, et qui a été si mal appréciée parmi nous, il montra que, chez lui, le talent du général n'excluait pas l'habileté du négociateur.

Omer-Pacha passe pour le meilleur général que possède la Turquie, et le fait est que, dans toutes les occasions où il a été mis à l'épreuve, il a déployé des talents militaires incontestables. Reste à savoir ce qu'il serait sur un champ de bataille européen. Toutefois, ce qui est un symptôme, ses ennemis ont peur de lui. Omer-Pacha a plusieurs fois refusé le ministère, notamment cette année, après que Reschid-Pacha eut été renversé du visirat. Il est, je crois, le seul de tous les grands pachas de la Porte qui n'ait jamais compté ailleurs que dans l'armée, et qui ait refusé tous les emplois de gouverneur, d'ambassadeur, de ministre, pour rester à la tête des troupes. Quelques journaux allemands ont pris texte de là pour donner à entendre qu'il n'attend que l'occasion pour tourner son armée contre le sultan, et révolutionner à son profit la Turquie d'Europe. Omer-Pacha a trop d'esprit pour donner dans un piège aussi grossier. Au lieu de voir dans sa conduite l'ambition d'un traître qui n'aspire qu'à détrôner son maître, voyons-y plutôt la loyauté d'un homme qui veut servir son pays dans le poste où il sent qu'il lui sera le plus utile."


Le Baron de Bazancourt, L'Expédition de Crimée. L'Armée française à Gallipoli, Varna et Sébastopol. Chroniques militaires de la Guerre d'Orient‎, tome I, Paris, Librairie d'Amyot, 1856, p. 25-29, note 2 :

"OMER-PACHA.

Au moment où apparaît sur le théâtre de la guerre cette nouvelle figure que les événements ont subitement grandie, et qui représenta en sa personne la Turquie armée, comme le maréchal Saint-Arnaud et lord Raglan représentent les forces militaires de la France et de l'Angleterre, il n'est pas sans intérêt d'esquisser les principaux traits de la vie étrange d'Omer-Pacha.

Homme de guerre, dans un pays auquel toute administration militaire semblait inconnue, il a reconstitué une armée ; et quelque défectueuse qu'elle doive nous paraître et qu'elle soit en effet, c'est elle qui portera les premiers coups, c'est elle qui enregistrera les premiers succès.

La physionomie du généralissime turc est froide, on pourrait presque dire sombre ; son regard est sec plutôt que pénétrant, mais ferme, résolu ; on chercherait en vain à lire une impression sur ce visage impassible auquel une barbe grise, des lèvres brunes donnent une expression mâle et énergique.

Telle est l'impression que nous avons ressentie personnellement, en voyant Omer-Pacha.

La curiosité qu'éprouvait le maréchal de Saint-Arnaud de connaître le général en chef de l'armée turque, d'étudier et de porter un jugement sur cet homme, objet de tant d'opinions diverses, était partagée par tout le monde.

Beaucoup l'exaltent à l'excès, d'autres au contraire lui nient toute qualité militaire.

La vie d'Omer-Pacha n'est pas semblable à celle de nos généraux, qui s'est faite sur les champs de combats. C'est avec la vie elle-même qu'il a lutté résolument, opiniâtrement ; il a forcé l'avenir, il a voulu, ce qui est la première, la plus grande, la plus difficile des qualités, voulu, malgré les obstacles, la misère, la souffrance, voulu sans cesse, voulu toujours, et il est arrivé, comme arrivent les esprits supérieurs, par la force et la persistance de sa pensée.

On lui reproche de l'amour-propre, une sorte de confiance illimitée en lui-même, l'audace imperturbable de sa conviction. — Si on retirait à Omer-Pacha cette foi en lui, cet amour-propre, cette audace de conviction personnelle, on en ferait un homme vulgaire ; ce qu'il n'est pas, et ce que ne peut pas être, celui qui, parti de très-bas, est arrivé très-haut.

Il a doté la Turquie d'une armée qu'il a reconstituée, organisée, disciplinée.

Né à Valski, dans le district d'Ogulini, sur les confins de la Croatie, il s'appelait Michel Lattas, et était le fils de Pierre Lattas, soldat au service de l'Autriche, qui obtint plus tard la lieutenance de ce petit village de Valski. Il naquit dans la religion grecque ; élevé d'abord à l'école de son village, il entra dans l'institution supérieure de Thurni près Carlstadt.

Le jeune enfant était actif, intelligent, travailleur ; ses supérieurs le remarquèrent. Quoiqu'il fut d'une santé faible, d'un extérieur presque chétif, il se sentait entraîné par une vocation ardente vers l'état militaire. Ce fut avec douleur que sa mère le vit entrer, comme cadet volontaire, au régiment d'Ogulini.

Sa belle écriture, son activité, appelèrent promptement sur lui l'attention de ses chefs, et bientôt il fut placé dans la chancellerie des ponts et chaussées, où le major directeur-commandant l'employait tantôt comme copiste, tantôt comme aide ingénieur.

Un triste événement décida de sa destinée. — Son père fut accusé pour des causes relatives à son service et passa en jugement. — Dès lors, la position du jeune Lattas dans son régiment devenait impossible, cruelle même ; il le quitta et erra longtemps sur les frontières, sans ressources, sans asile, vivant au hasard.

Comment quitta-t-il son régiment ? — Qu'il nous soit permis de ne pas nous prononcer, c'est un point qui est resté obscur, volontairement peut-être. Qu'importe ! — dans la vie des hommes, comme dans la vie des nations, il y a des pages obscures et incomplètes.

Michel Lattas abandonnait donc le pays où il était né, sans appui, sans protecteur, n'ayant pour tout bien que l'espérance, précieux trésor, que les souffrances et la misère ne peuvent enlever à une âme forte.

Où allait-il ? — Il ne le savait. Bientôt, inconnu à tous, au milieu d'une nation où la différence de religion est une barrière qui repousse, il fut comme perdu ; nulle part il ne trouvait d'appui ; nulle porte ne lui était ouverte ; nulle main ne lui était tendue.

Ses faibles ressources étaient épuisées ; la misère vint. Peut-être se prit-il à regretter au fond de son cœur sa modeste position, qu'il avait foulée aux pieds pour les hasards d'une vie aventureuse.

Enfin, un négociant turc le chargea de l'éducation de ses enfants ; mais il dut, pour obtenir cet emploi, embrasser le mahométisme. C'est de cette époque que date son nom d'Omer. — Les questions de religion ne se discutent pas ; la foi prend sa source plus haut que l'homme.

Michel Lattas savait-il bien ce qu'il abjurait, en abjurant la foi chrétienne, la religion de sa mère, celle de son berceau ? L'enfant perdu, errant au hasard, s'était dit : « C'est en Turquie que je ferai ma destinée, c'est là que m'attend l'avenir. » Il brisa la barrière qui était entre lui et cet avenir. — Le renégat devint le généralissime des armées turques.

Il entra pour la première fois à Constantinople avec les enfants dont il était le professeur.

Nous nous gardons bien d'accueillir toutes les fables que l'on a débitées sur Omer-Pacha. Bientôt nous le revoyons dans une école militaire, où il est placé comme professeur, grâce à de nouveaux protecteurs qu'il a su conquérir ; car dans tous les pays et chez tous les peuples, la protection est une rude et difficile conquête.

Nous sommes obligé, dans cette courte notice, de n'enregistrer que sommairement les différents épisodes de cette existence si fertile en événements.

La Turquie venait d'acquérir la triste expérience de la nécessité impérieuse où elle était de réformer son organisation militaire.

Elle chercha des ressources en dehors de ses moyens ordinaires, et, comprenant trop tard l'inertie et l'insouciance de sa propre administration, elle accueillit favorablement le bras et le talent des étrangers. C'est de ce moment que date véritablement la carrière d'Omer-Pacha. Aide de camp du vieux séraskier Kosrew-Pacha, qui l'avait pris en affection, il put utilement employer les qualités qui le distinguaient, une véritable instruction et une infatigable activité. Soutenu par cette haute protection, il épousa une des plus riches héritières de Constantinople, fut nommé major ; et sous les ordres immédiats du général polonais Chrzanowski, chargé de la direction des affaires militaires à Constantinople, il prit une part importante à la réorganisation de l'armée. Il fut ensuite employé à des travaux topographiques en Bulgarie et dans les provinces danubiennes. — C'est ainsi qu'en explorant les moindres sentiers, les plus légères ondulations de terrain, les ravins, les plaines, les escarpements, les cours d'eau, il parcourut, pas à pas, ce pays dans lequel il devait plus tard, comme général en chef, conduire l'armée turque.

Nommé successivement aux divers grades, il rendit d'éminents services au gouvernement ottoman dans les troubles de Syrie. Energique dans le commandement, sévère dans la discipline, infatigable, audacieux, il étouffa les tentatives de révolte du vieux parti turc, partout où il les combattit.

En 1848, il devait monter sur un plus vaste théâtre ; les événements politiques le mettaient en contact avec l'élément européen. L'esprit révolutionnaire se répandait de tous côtés comme un torrent de feu ; deux corps d'armée furent envoyés dans les provinces danubiennes, l'un russe, l'autre turc, pour occuper simultanément la Moldavie et la Valachie. Omer-Pacha eut le commandement des troupes turques. Placé entre les exigences de la Russie et celles de l'Autriche, il sut remplir avec une rare habileté de modération et de prudence cette mission délicate.

En 1851, il marcha contre les Bosniaques, farouches musulmans qui se refusaient à toute pensée de réforme. Déjà la révolte avait fait de rapides progrès ; Omer-Pacha, muni de pouvoirs illimités, la comprima en quelques mois. Cet acte de guerre de haute stratégie montra ce que l'on devait, ce que l'on pouvait attendre d'un tel chef.

Il fut employé en 1852 dans l'expédition contre les Monténégrins.

Aujourd'hui le voilà revenu dans ces mêmes provinces danubiennes, qu'il a tant de fois parcourues.

Retranché dans son camp de Schumla, il reçoit sous sa tente les généraux en chef des armées alliées, et leur présente une armée incomplète, comme apparence extérieure, étrange même sur certains points, mais ayant un ensemble militaire, manœuvrant avec calme et précision.

« Les soldats sont mal habillés, mal chaussés, mal armés, écrivait le maréchal de Saint-Arnaud ; mais ils se battront bien. » Ils l'avaient prouvé à Olteniza, ils le prouvaient à Silistrie.

Tel est Omer-Pacha, tel est l'homme auquel la Turquie a confié le soin de ses futures destinées, tel est le généralissime turc."


Série télévisée franco-austro-allemande sur la vie d'Ömer Paşa :



Voir également : L'épopée des volontaires polonais de l'armée ottomane

Les patriotes hongrois de 1848 et la Turquie ottomane

Hurşid Paşa alias Richard Guyon

Mehmet Ali Paşa alias Ludwig Karl Friedrich Detroit

La France des Bonaparte et la Turquie

Ante Starčević : père du nationalisme croate et turcophile

mardi 2 juin 2015

La stratégie "néo-ottomane" du parti MHP




Thierry Mudry, Guerre de religions dans les Balkans, Paris, Ellipses, 2005, p. 171-172 :

"Profitant de sa participation au gouvernement [en 1975], le MHP, dont l'audience se limitait jusqu'alors aux grandes villes et à la petite bourgeoisie urbaine, s'implanta en zone rurale et acquit au détriment de ses partenaires agrariens et islamistes une clientèle électorale dans les masses paysannes. Cette mutation sociologique s'accompagna d'une mutation idéologique : la thématique panturque racialisante et agressivement laïque jusqu'alors développée par le parti céda en effet la place à un « nationalisme turco-musulman », lui faisant perdre le soutien qui lui était jusqu'alors assuré de la mouvance panturquiste et des gardiens de son intégrité doctrinale.

Le Parti de la prospérité [Refah] et le Parti de l'action nationaliste [MHP] disposaient depuis quelque temps déjà, avec le journal à grand tirage Türkiye paraissant à 400 000 exemplaires, d'un organe de presse commun. Ce quotidien préconisait une intervention directe de la Turquie dans le conflit bosniaque à travers l'envoi d'armes et de volontaires. Mais le gouvernement turc se garda bien d'agir dans le sens demandé ou d'encourager de telles initiatives. La stratégie néo-ottomane, nous l'avons vu, contrariait les options géopolitiques bien arrêtées des principaux partis turcs placés sous l'étroite surveillance de l'armée."

Alparslan Türkeş (leader du MHP), cité dans la revue Türkiye, 8 septembre 1992 :

"Il faut envoyer des volontaires en Bosnie."

Voir également : La répartition géographique des votes pour la gauche kémaliste (CHP, puis SHP et DSP) et la droite nationaliste (CKMP, puis MHP)

Le panturquisme

Elections municipales en Turquie : le MHP poursuit sa politique arménienne traditionnelle

Interview de candidats arméniens du MHP (parti nationaliste turc réputé "dur")

lundi 1 juin 2015

Digne d'un si grand Empire




Antoine Geuffroy, Briefve description de la court du Grant Turc, Paris, Chrestien Wechel, 1543 :

"Le dict Roy Seleyman peult estre a présent de l'aage de cinquante ans, ou environ, et est ainsi que j'ay entendu, long de corps, de menuz ossemens, maigre, et mal proportionné : le visaige brun et bazanné : la teste rasé, fors un touppet de cheveulx au sommet, ainsi que ont tous les Turcs, pour mieulx asseoir leur talopan, qui est un acoustrement de linge. Il a le front elevé et large : les yeulx gros et noirs, le nez hault, et un peu courbe ou aquilin, les moustaches long et roux : le menton rez au ciseau, et non au rasouer, le col long, graisle et pendant : melancholique, peu parlant, et peu riant, mais fort cholere, assez lourt, mal adroit, et qui ne prent plaisir à aucun exercice. Au demeurant réputé vertueux et homme de bien entre les siens, bien gardant sa loy, attrempé et modéré, aymant la paix et repoz plus que nul de ces prédécesseurs, ce que les Turcs luy imputent à pusillanimité et faulte de couraige. Il est estimé doulx et humain, gardant sa foy et parolle quoy qu'il promette, et qui facilement pardonne à ceulx qui l'ont offensé. Son passe temps est de lire es livres de philosophie, et de sa loy. En laquelle il est tellement instruict, que son Mofty ne luy en scauroit apprendre aucune chose. On ne le tient point trop libéral, mais plus eschars que ses prédécesseurs. Il se laisse manyer et gouverner à ceulx qu'il ayme, et en qui il se fie, combien qu'il soit quelque foys obstiné et opiniâtre. Troys foys la sepmaine on lit devant luy les histoires de ses prédécesseurs, esquelles il ne seuffre estre mis ou escript aucune mensonge, qu'il puisse congnoistre, ny pareillement flateries, mais seullement le vray faict pur et nud : et ne se arreste que aux traictez et praticques, qui ont esté menez avec leurs voisins, et autres nations, et au vray narré, concernant la conduicte de leurs affaires."

Ogier Ghislain de Busbecq, Ambassades et voyages en Turquie et Amasie (traduit en français par S. Gaudon), Paris, Pierre David, 1646, p. 153-155 :

"Je ne doute point que vous n'ayez la curiosité d'apprendre quel homme c'est que Soliman C'est un Prince sur le declin de son aage, qui paroist à son visage & à tout son corps, estre digne d'un si grand Empire ; Il a la réputation d'avoir esté toujours sage dans l'aage mesme qu'il est permis en quelque façon chez les Turcs, de pecher sans reproche ; la jeunesse n'a point esté infame par l'yvrongnerie, ny par l'amour des garçons, quoy que ce soit les delices des Turcs ; & ses plus grands ennemis ne le blasment que d'estre trop sujet à sa femme, & de s'estre laissé tromper par ses artifices, lors qu'il a fait mourir son fils aisné Mustapha ; encore impute-on sa faute aux enchantemens de ceste Sultane. Tout le monde sçait que depuis son légitime mariage il n'a couché avec aucunes de ses concubines, quoy qu'il ne luy soit point deffendu par sa Loy, dont il est si severe observateur, & de toutes ses ceremonies, qu'il a autant de passion de les faire recevoir par tout, que d'agrandir son Empire. Sa santé n'est pas mauvaise pour ses années, si sa mauvaise couleur n'estoit une marque de quelque secrete maladie, que la plus part du monde croit estre une Gangrene dangereuse à la cuisse.

Ce Prince a soin de corriger le vice de son teint avec du vermillon & du rouge, lors qu'il sçait qu'un ambassadeur est prest de venir rendre congé de sa Hautesse, croyant qu'il est important pour sa reputation qu'on ait bonne opinion de sa santé pour se faire craindre des Estrangers, comme se portant bien & estant robuste ; ce qui fut cause que je luy vis un meilleur visage en luy disant à Dieu, que lors que je l'avois veu la premiere fois."

Voir également : Kanuni Sultan Süleyman (Soliman le Magnifique ou le Législateur)

Le XVIe siècle, l'"âge d'or" de la civilisation ottomane

Le Turc ottoman, un être hautement civilisé

La législation ottomane : du kanun aux Tanzimat