dimanche 24 février 2013

Osman Hamdi Bey : un génie éclectique ottoman




François Georgeon, Abdülhamid II : le sultan calife (1876-1909), Paris, Fayard, 2003 :

"Selon la vision d'Abdülhamid, un Etat moderne, qui veut rivaliser avec les grandes puissances, doit s'occuper des arts et de la culture. Dans ce domaine, un homme joue un rôle décisif, Osman Hamdi bey, le fils d'Edhem pacha. Formé à Paris, où il a peut-être été l'élève de Gérôme et de Boulanger, il est à la fois peintre, architecte, ethnographe, administrateur, archéologue. Ayant des relations multiples avec les milieux artistiques des grandes capitales européennes, Abdülhamid le nomme en 1881 à la tête du musée des Antiquités, dont il devient le premier directeur ottoman. Le musée est agrandi pour accueillir une découverte majeure de l'archéologie, les sarcophages de Sidon (Saïda), exhumés au Liban et qui sont transférés à Istanbul. Abdülhamid souhaite que les richesses archéologiques de son empire soient visibles dans la capitale même ; la centralisation hamidienne vaut aussi pour la culture.

En 1883 est créée une Académie des beaux-arts (Sanayi-i Nefise mektebi), sur le modèle de l'école parisienne. Dirigée elle aussi par Osman Hamdi, l'école enseigne la peinture, la sculpture, l'architecture et la gravure. Ouverte avec une vingtaine d'inscrits, elle est déjà fréquentée par près de 200 étudiants en 1895. L'objectif est aussi de former un personnel compétent pour la préservation et la restauration du patrimoine culturel ottoman, tapis, étoffes, soieries, faïences, reliures, objets en nacre et en ivoire, armes anciennes, tous objets qui sont menacés de destruction. L'ouverture d'une telle école doit aussi permettre de retenir les étudiants dans l'Empire, au lieu de les voir partir à l'étranger.

Abdülhamid fait aussi entreprendre de grandes fouilles archéologiques dans l'Empire. Après les découvertes de Schliemann à Troie, de nombreux chantiers de fouille sont ouverts à Pergame, Milet, Priène, Didyme, Ephèse et Sardes, les Ottomans prenant bien soin de distribuer les concessions entre les différentes grandes puissances. Mais Osman Hamdi lui même fait des fouilles au Nemrud Dag, à Saïda (les fameux sarcophages), et il exhume les hauts-reliefs ornant la frise du temple d'Hécate à Lagina près de Milas.

D'autre part, Abdülhamid publie un Règlement des antiquités en 1884 (Asar-i Atika Nizamnamesi) — dont l'auteur est également Osman Hamdi — pour promouvoir les fouilles, créer un service des Antiquités et éviter les pillages ; selon le règlement, tous les objets trouvés au cours d'une fouille doivent être apportés au musée des Antiquités d'Istanbul. Dans une volonté affichée de modernité, le sultan est très soucieux de faire valoir les vestiges des civilisations anciennes, il veut voir s'établir un lien entre les splendeurs de l'Antiquité classique et le renouveau culturel qu'il cherche à promouvoir." (p. 245)

"Artistes, écrivains et diplomates sont mobilisés pour participer eux aussi, chacun à leur manière, à cet effort pour redresser l'image de l'Empire et de la civilisation ottomane au-dehors. Abdülhamid sait utiliser au mieux les esprits les plus brillants pour représenter l'Empire. Ainsi, il envoie Ahmed Midhat efendi, esprit encyclopédique, écrivain prolifique et journaliste, au Congrès des orientalistes de Stockholm en 1889 pour y représenter la science ottomane. Il confie à un autre homme de talent, Osman Hamdi bey, la direction du musée des Antiquités (dont il devient le premier directeur ottoman), puis la fondation de l'école des beaux-arts. Personnage élégant, cultivé, imprégné de culture française (il correspond avec son père en français), archéologue à ses heures, Osman Hamdi est aussi un peintre « orientaliste » de valeur, qui peint dans la veine de Gérôme et de Deutsch, mais qui, à la différence de ses modèles européens, ne montre pas un Empire exotique et décadent, mais, au contraire, donne à voir une culture ottomane ancienne et brillante, un islam ouvert et tolérant. Par son mode de vie comme par ses oeuvres, Osman Hamdi incarne à merveille la synthèse réussie de l'Orient et de l'Occident, en parfait accord avec la vision du sultan qui rêve d'un empire qui soit à la fois moderne et musulman." (p. 280)

jeudi 7 février 2013

Hommage à Gilles Veinstein




C'est avec une profonde tristesse que nous avons appris la mort de M. Gilles Veinstein, à l'âge de 67 ans. Nous présentons toutes nos condoléances à ses proches.

Grande figure de la turcologie française, M. Veinstein était un spécialiste reconnu de l'Empire ottoman. Un des nombreux intérêts de son oeuvre était qu'il nuançait fortement la notion d'oppression ottomane (fiscale, entre autres), dans les Balkans particulièrement. Il s'était également penché sur les réminiscences païennes (turco-mongoles) au sein de la dynastie des sultans et les syncrétismes religieux en Anatolie musulmane. Nous l'avons cité abondamment sur ce blog.

Sa nomination au Collège de France lui avait valu une véritable campagne de haine de la part des officines nationalistes arméniennes, en raison d'un article remettant en cause le "génocide" (L'Histoire, n° 187, avril 1995).

Les conférences auxquelles il était intervenu dévoilaient une personnalité fort sympathique et attachante, captant l'attention de son auditoire.