mardi 29 mai 2012

Jean-Jacques Rousseau




Jean-Jacques Rousseau, Emile ou De l'Education, livre IV : "L'âge de raison et des passions (de 15 à 20 ans)", 1762 :

"Pourquoi les rois sont-ils sans pitié pour leurs sujets ? C'est qu'ils comptent de n'être jamais hommes. Pourquoi les riches sont-ils si durs pour les pauvres ? C'est qu'ils n'ont pas peur de le devenir. Pourquoi la noblesse a-t-elle un si grand mépris pour le peuple ? C'est qu'un noble ne sera jamais roturier. Pourquoi les Turcs sont-ils généralement plus humains, plus hospitaliers que nous ? C'est que, dans leur gouvernement tout à fait arbitraire, la grandeur et la fortune des particuliers étant toujours précaires et chancelantes, ils ne regardent point l'abaissement et la misère comme un état étranger à eux ; chacun peut être demain ce qu'est aujourd'hui celui qu'il assiste. Cette réflexion, qui revient sans cesse dans les romans orientaux, donne à leur lecture je ne sais quoi d'attendrissant que n'a point tout l'apprêt de notre sèche morale."

"Nos gouvernements modernes doivent incontestablement au christianisme leur plus solide autorité et leurs révolutions moins fréquentes ; il les a rendus eux-mêmes moins sanguinaires : cela se prouve par le fait en les comparant aux gouvernements anciens. La religion mieux connue, écartant le fanatisme, a donné plus de douceur aux moeurs chrétiennes. Ce changement n'est point l'ouvrage des lettres ; car partout où elles ont brillé, l'humanité n'en a pas été plus respectée ; les cruautés des Athéniens, des Egyptiens, des empereurs de Rome, des Chinois, en font foi. Que d'oeuvres de miséricorde sont l'ouvrage de l'Evangile ! Que de restitutions, de réparations, la confession ne fait-elle point faire chez les catholiques ! Chez nous combien les approches des temps de communion n'opèrent-elles point de réconciliations et d'aumônes ! Combien le jubilé des Hébreux ne rendait-il pas les usurpateurs moins avides ! Que de misères ne prévenait-il pas ! La fraternité légale unissait toute la nation : on ne voyait pas un mendiant chez eux. On n'en voit point non plus chez les Turcs, où les fondations pieuses sont innombrables ; ils sont, par principe de religion, hospitaliers, même envers les ennemis de leur culte."

Voir également : Voltaire, Rousseau et la Turquie

mercredi 23 mai 2012

Mustafa Kemal et la question du rôle de l'armée dans la société

M. Şükrü Hanioğlu , Atatürk : An Intellectual Biography, Princeton-Oxford, Princeton University Press, 2011, p. 45-46 :

"Mustafa Kemal était néanmoins en désaccord avec beaucoup de ses pairs sur une question clé : le rôle de l'armée dans la société. Bien qu'il approuvait la théorie de Goltz en général, il ne considérait pas le modèle organisationnel paramilitaire du CUP [Comité Union et Progrès] comme approprié pour la création d'une nation ottomane/turque en armes. Il estimait que l'intervention grossière de l'armée dans la politique, par le biais de coups d'Etat routiniers et de la politisation extrême de l'armée, pourrait s'avérer préjudiciable à l'armée en tant qu'institution, l'empêchant de se concentrer sur sa véritable puissance militaire et ses rôles sociaux. Bien qu'il n'était pas totalement opposé à l'ingérence militaire dans la politique, Mustafa Kemal voulait que les forces armées deviennent un imperium in imperio, avec une position similaire à celle de l'armée allemande entre 1871 et 1914. Ces vues le rendaient inapte à devenir un décideur au sein du CUP, et conduisirent au déclin rapide de ses chances au sein de l'organisation."

Voir également : Qui était Mustafa Kemal Atatürk ?

Enver Paşa (Enver Pacha) et Mustafa Kemal, deux géants du peuple turc

Le patriotisme ottoman du Comité Union et Progrès (İttihat ve Terakki)

L'Armée, la gardienne de la démocratie turque

samedi 12 mai 2012

Voltaire, Rousseau et la Turquie

Bernard Lewis, Comment l'Islam a découvert l'Europe, Paris, La Découverte, 1984, p. 240 :

"Au début du XVIIIe siècle, la profession avait quasi disparu en Turquie. L'un des derniers horlogers occidentaux à s'y rendre fut Isaac Rousseau, père du philosophe qui note dans ses Confessions : « Mon père, après la naissance de mon frère unique, partit pour Constantinople, où il était appelé, et devint horloger du Sérail. »

Par une étrange coïncidence, Voltaire fut également en rapport avec le marché turc des montres. Châtelain de Ferney, il s'efforça d'aider les gens de ses domaines et notamment un groupe d'une cinquantaine de réfugiés religieux de Genève qui se trouvaient être horlogers. Voltaire se mit en devoir de leur trouver de nouveaux débouchés."

Maxime Rodinson, La fascination de l'Islam, suivi de Le seigneur bourguignon et l'esclave sarrasin, Paris, Presses Pocket, 1993, p. 74-75 :

"Les musulmans sont, aux yeux du siècle des Lumières, des hommes comme les autres et beaucoup sont même supérieurs aux Européens. « Le Turc, toutes les fois qu'il n'est pas influencé par le fanatisme, est aussi charitable que confiant », écrit Thomas Hope (vers 1770-1831) qui fit des séjours en Orient à la fin du siècle. A la fin de Candide, les héros assagis trouvent la paix près de Constantinople en suivant les conseils d'un « derviche très fameux qui passait pour le meilleur philosophe de la Turquie » et d'un bon vieillard musulman, travailleur, sobre et insoucieux de la politique. (...) Le jeune Jean-Jacques Rousseau, fils d'un horloger du Sérail à Constantinople, parent d'un consul en Perse et de son fils consul à Basra, Alep, Bagdad et Tripoli, ne s'étonne pas de rencontrer près de Neuchâtel un faux archimandrite de Jérusalem, sans doute aventurier grec, sujet du Grand Seigneur."

Voir également : Voltaire