Jean-Paul Roux, Histoire des Turcs. Deux mille ans du Pacifique à la Méditerranée, Paris, Fayard, 2000, p. 37-38 :
"On a accusé les Turcs, sans preuves,
d'avoir mis fin au grand art animalier des steppes et de n'avoir rien
crée en terre d'islam. Seldjoukides, Ottomans, Grands Moghols,
n'auraient fait que plagier les arts iraniens, arméniens et, plus
tard, byzantins. On est revenu sur ces jugements dont les deux
premiers sont faux, et le troisième très excessif. Leur rôle
propre en architecture, en sculpture, en peinture, dans les arts
plastiques et industriels est encore difficile à distinguer de celui
de leurs sujets. On perçoit pourtant tout ce qui différencie un
tapis iranien d'un tapis turc, non seulement la façon de nouer, mais
le décor, les couleurs ; une céramique turque d'une céramique
iranienne, même si, à certains moments, certaines productions sont
semblables ; la miniature séfévide de ses contemporaines, les
miniatures ottomanes ou indiennes ; en l'occurrence, un abîme ! Et
si l'influence chinoise sur la peinture d'un artiste comme Mehmed
Siyah Kalem (XVe siècle) est sensible, celui-ci n'en affirme pas
moins sa personnalité. On peut difficilement attribuer au hasard
plutôt qu'à leur présence agissante le fait que les parties les
plus belles du monument le plus représentatif du génie iranien, la
Grande Mosquée d'Ispahan (on y travailla pendant un millénaire),
que le plus beau mausolée du monde, le Tadj Mahal d'Agra, que ce
chef-d'œuvre trop méconnu, la mosquée Selimiye Camii d'Edirne,
furent édifiés sous leur domination.
Les Turcs ont bien été des artistes,
on ne peut pas le nier. Ils se sont montrés respectueux des artistes
veillant à ce que ceux-ci soient épargnés, au même titre que les
prêtres, lors des tueries, quitte à les déporter pour les amener à
leur cour, dans leurs métropoles (c'était une manière de leur
rendre hommage). Ce qui est plus rare encore dans les temps anciens,
curieux des créations étrangères, ils ont été des antiquaires et
des collectionneurs passionnés. Les Ottomans au XVe siècle, les
Grands Moghols au XVIIe siècle interrogent avec avidité la peinture
européenne, achètent des œuvres d'art, s'en font offrir, invitent
leurs auteurs. Au Moyen Age, les Seldjoukides collectionnent les
sculptures gréco-romaines, en parent les murs de leurs cités et
leurs palais ; qui s'intéresse alors, autre part sur la Terre, aux
œuvres du passé ? Les Ghaznévides, dans une violence iconoclaste
que connaît parfois l'islam, détruisent certes beaucoup de temples
en Inde, et avec eux des chefs-d'œuvre, mais ils rapportent dans
leur ville du haut des monts, en Afghanistan, des quantités de
pièces qui ont pourtant tout pour les choquer. Quant à dire comme
Hugo : « Le Turc est passé là, tout n'est que ruine et
deuil ! », il suffit de voyager en Anatolie pour voir que cela est
mensonger."
Voir également : Les traits du caractère turc