Georges Castellan, Histoire des Balkans, XIVe-XXe siècle, Paris, Fayard, 1991, p. 221 :
"Ce serait toutefois donner une image fausse des Balkans ottomans au XVIIIe siècle que de camper face à face gardiens des ténèbres et fils de la lumière, en un manichéisme qui a ravi les écrivains romantiques. L'ottomanisation, c'est-à-dire l'adoption d'un genre de vie sans aller jusqu'à la conversion religieuse, a été une large pratique. De nombreux tchorbadji bulgares, knez serbes, archon grecs [chefs de villages], et surtout les phanariotes étaient restés chrétiens ; ils avaient conservé leur langue, mais vivaient « à la turque » pour les besoins de leur familiarité avec l'administration ottomane. Les voyageurs ont souligné le caractère turc des villes, même pour celles où dominaient les populations chrétiennes : le port du tcharchaf [voile] était général à Thessalonique, Belgrade, Sofia, et nombre d'églises étaient partagées par des grillages de bois séparant hommes et femmes, comme on le voit encore à Bansko, en Bulgarie, et comme cela existait à Trojan et Koprivstica où, pourtant, ne vivait aucun musulman !
Plus en profondeur, cette symbiose islamo-chrétienne atteignit même la vie religieuse. L'on connaît le cas des Pomaks comme celui des Domnë des pays albanais, qui mélangeaient sans drame de conscience les pratiques chrétiennes et musulmanes. A quoi il faut ajouter ce que Bernard Lory appelle des « contaminations » : ainsi, la popularité du pèlerinage aux Lieux saints, La Mecque pour les uns, la Palestine pour les autres, mais qui conférait au fidèle le même nom de hâdji et le même prestige. Plus curieusement, la communauté de certains lieux, comme, près de Varna, le tekke d'Ak Azala Baba, assimilé par les orthodoxes à saint Athanase et dont la fête était célébrée successivement le 1er et le 2 mai par les musulmans, puis par les chrétiens.
Quatre à cinq siècles de vie « ensemble » avaient introduit bien des nuances dans la notion de « joug ottoman »."
"Ce serait toutefois donner une image fausse des Balkans ottomans au XVIIIe siècle que de camper face à face gardiens des ténèbres et fils de la lumière, en un manichéisme qui a ravi les écrivains romantiques. L'ottomanisation, c'est-à-dire l'adoption d'un genre de vie sans aller jusqu'à la conversion religieuse, a été une large pratique. De nombreux tchorbadji bulgares, knez serbes, archon grecs [chefs de villages], et surtout les phanariotes étaient restés chrétiens ; ils avaient conservé leur langue, mais vivaient « à la turque » pour les besoins de leur familiarité avec l'administration ottomane. Les voyageurs ont souligné le caractère turc des villes, même pour celles où dominaient les populations chrétiennes : le port du tcharchaf [voile] était général à Thessalonique, Belgrade, Sofia, et nombre d'églises étaient partagées par des grillages de bois séparant hommes et femmes, comme on le voit encore à Bansko, en Bulgarie, et comme cela existait à Trojan et Koprivstica où, pourtant, ne vivait aucun musulman !
Plus en profondeur, cette symbiose islamo-chrétienne atteignit même la vie religieuse. L'on connaît le cas des Pomaks comme celui des Domnë des pays albanais, qui mélangeaient sans drame de conscience les pratiques chrétiennes et musulmanes. A quoi il faut ajouter ce que Bernard Lory appelle des « contaminations » : ainsi, la popularité du pèlerinage aux Lieux saints, La Mecque pour les uns, la Palestine pour les autres, mais qui conférait au fidèle le même nom de hâdji et le même prestige. Plus curieusement, la communauté de certains lieux, comme, près de Varna, le tekke d'Ak Azala Baba, assimilé par les orthodoxes à saint Athanase et dont la fête était célébrée successivement le 1er et le 2 mai par les musulmans, puis par les chrétiens.
Quatre à cinq siècles de vie « ensemble » avaient introduit bien des nuances dans la notion de « joug ottoman »."